Puers Saint-Amand, ville qui abritait un centre de transit vers les camps de la mort, vient à peine de débaptiser sa rue Cyriel-Vershaeve, qui rendait hommage à un collaborateur. Et la décision ne fait pas l’unanimité.
Puers Saint-Amand, son golf, sa célèbre bière Duvel, son camp de concentration. Cette municipalité proche d’Anvers regroupe, en effet, la localité de Breendonk et son fort, un lieu où, de 1940 à 1944, les forces d’occupation nazies installèrent un centre de torture, d’exécution et de transit vers les camps de la mort. Le Mémorial de Breendonk est l’un des deux grands lieux de mémoire de la Belgique, avec la Caserne Dossin, à Malines.
Mémoire un peu souillée, toutefois : il aura fallu attendre janvier 2020 pour que le conseil municipal de Puers débaptise l’une de ses rues, affublées du patronyme d’un collaborateur et thuriféraire du régime nazi, Cyriel Verschaeve. Lundi 27 janvier, les élus locaux ont trouvé qu’alors même qu’on célébrait le 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau il était peut-être temps de gommer le patronyme du prêtre et écrivain qui fut un zélé propagandiste de l’idéologie du Reich.
Le bourgmestre, Koen Van den Heuvel, un chrétien-démocrate, a clos un débat qui aura duré dix ans en jugeant qu’étant donné « le climat politique » en Flandre, marqué par « la montée du radicalisme et de l’extrémisme » il était temps d’ôter des plaques de rue et des mémoires le nom d’un homme qui, jusqu’au bout, aura adhéré au nazisme.
Un « climat » qui explique sans doute pourquoi, au lieu de scandaliser par son côté tardif, le propos du maire est jugé courageux. Durant sept décennies, la proximité d’une rue honorant un nazi et d’un camp où moururent 303 juifs et résistants – 1 741 périrent en déportation – ne fut, apparemment, pas jugé suffisamment choquant pour hâter la décision des autorités.
Très sombre passé
Deux partis qui siègent dans l’opposition à Puers, les nationalistes de l’Alliance néoflamande (N-VA) et les extrémistes de droite du Vlaams Belang (VB), se sont d’ailleurs opposés à la décision de la municipalité. « Pour des raisons pratiques, parce que les habitants n’ont pas été consultés », a expliqué le représentant local de la N-VA. Il critiquait notamment l’obligation faite aux citoyens de faire modifier leur carte d’identité, leur passeport ou les documents de leur entreprise.
Une tentative évidente, pour l’élu N-VA, de se démarquer de ses rivaux d’extrême droite du VB, héritiers du vieux courant radical flamingant. Karl Dillen, le fondateur du Vlaams Blok (ancêtre du Vlaams Belang) participa ainsi, en 1951, en Suède, à un congrès censé relancer une « Internationale noire » et le courant nazi en Europe. Il fut aussi le traducteur du négationniste Maurice Bardèche, auteur de Nuremberg ou La Terre promise.
En 1973, pour démontrer leur attachement à Verschaeve, les membres d’un groupe paramilitaire flamand allèrent jusqu’en Autriche, où mourut, en 1949, leur héros exilé, pour exhumer ses ossements et les enterrer en cette terre flamande où il espérait réaliser, avec la complicité d’Heinrich Himmler, chef de la SS et ministre de l’intérieur d’Hitler, la fusion du catholicisme et du nazisme.
Si Puers entendait tourner la page de ce très sombre passé, d’autres municipalités flamandes ne veulent pas l’imiter. A Zoersel, une commune de 5 000 habitants elle aussi proche d’Anvers, l’avenue Cyriel-Verschaeve va subsister. Comme la place du même nom à Alveringem, en Flandre occidentale. « Cela n’a pas de sens de gommer l’histoire. Il faut la faire vivre pour montrer aux gens comment quelqu’un peut se radicaliser », a expliqué au quotidien De Morgen le maire sans étiquette Gerard Liefooghe. Verschaeve vécut dans cette petite cité flandrienne, où il fut vicaire. Un musée local raconte toujours sa vie et « ses fautes de parcours ».
« Une image déformée de la réalité historique »
« Eclairer le passé, pour mieux l’évacuer », c’est aussi la devise de Liesbeth Verstreken, la maire N-VA de Zoersel, où les plaques de l’avenue Verschaeve mentionnent quand même que celui-ci a été condamné pour faits de collaboration.
S’il fallait confirmer que la Flandre, pourtant clairement ancrée à droite étant donné sa représentation politique actuelle (ensemble, nationalistes et extrême droite réalisent quelque 44 %) n’est pas unanime, « l’affaire Verschaeve » serait un excellent révélateur. Le maire libéral de la ville de Courtrai – pourtant associé à la N-VA – a, lui, fait gommer le nom de Verschaeve et, dans la foulée, celui de Léopold II, le roi colonisateur du Congo. Lanaken, dans le Limbourg, veut également oublier le collabo et a rebaptisé « Anne Frank » le nom de son ancienne rue. Oostakker, près de Gand, a honoré dix femmes résistantes en donnant leur nom à autant d’artères.
Au-delà de ces exemples positifs, une question demeure : pourquoi la riche, fière et conquérante Flandre a-t-elle autant de difficultés à se détacher d’un passé sombre, toujours recouvert d’un voile pudique ? Même quand il s’agit de rayer le nom d’un prêtre écrivain, réputé « romantique » mais qui décrivait les SS flamands du Front de l’est comme « les meilleurs de notre peuple » ; il s’agissait de 3 000 hommes mobilisés pour lutter à la fois contre le bolchevisme et dans l’espoir de voir, un jour, naître une Flandre indépendante.
Bart Eeckhout, rédacteur en chef du Morgen, cherchait une réponse, dans un éditorial du 30 janvier. « Le fait que des rues Cyriel-Verschaeve continuent d’exister montre qu’une partie de la Flandre a une image déformée de la réalité historique de la guerre, écrivait le journaliste. En 2020, il commence à être doucement temps pour la commuauté flamande de jeter un regard sans concession sur son passé, sur les belles périodes et sur les sombres. »