La rénovation de l’édifice, à partir de 19 avant J.-C., constitua le plus vaste chantier du monde antique. Il n’en reste aujourd’hui que le mur des Lamentations.
Si l’on en croit le récit biblique, c’est entre 966 et 959 avant notre ère que Salomon fit édifier à Jérusalem un somptueux Temple destiné à abriter l’Arche d’Alliance qui contenait les tables de la Loi. Quelques siècles plus tard, en 586 avant J.-C., la destruction de ce sanctuaire par les troupes de Nabuchodonosor marqua la disparition définitive de l’Arche sacrée et, avec elle, celle du texte fondateur du culte des Hébreux. Il fallut attendre 515 avant J.-C. pour qu’un second Temple, plus modeste, soit élevé sur les fondations du premier. Pillée, profanée et relevée plusieurs fois au cours des siècles suivants, la demeure de Yahvé était passablement décrépie quand la Judée passa sous l’autorité de Rome, au Ier siècle avant notre ère. C’est alors qu’un roi autochtone entreprit son entière réfection. Ce bâtisseur visionnaire s’appelait Hérode Ier, dit le Grand.
Le mont du Temple, le plus grand chantier du monde antique
Hérode, despote sanguinaire à la solde des Romains, avait beaucoup à se faire pardonner. C’est donc pour gagner la faveur des masses que « l’usurpateur », comme le nommait le peuple, entreprit d’agrandir et d’embellir le cœur même du judaïsme. Son projet était colossal : il voulait tripler la surface occupée par l’ancien sanctuaire. Devant l’incrédulité des prêtres, Hérode employa les grands moyens : il engagea une partie de son immense fortune et recruta 18 000 ouvriers. La plateforme du mont du Temple était en effet située sur une colline naturelle. D’épaisses murailles venaient soutenir l’édifice, aussi large que vingt-cinq stades de football. Illustration simultanée de la puissance d’Hérode et de la grandeur du judaïsme, le mont du Temple représentait, au temps de Jésus, le plus grand chantier du monde antique. En effet, les travaux engagés en 19 avant J.-C. ne s’achevèrent vraiment que quatre-vingts ans plus tard.
Au Ier siècle de notre ère, Jérusalem était la cité du Moyen-Orient qui se développait le plus rapidement. On imagine sans peine l’éblouissement – et sans doute l’affolement – des gens de la campagne venus jusqu’à cette ruche. « En temps normal, la ville sainte comptait à peine 30 000 habitants, commente l’historien Ori Soltes, de l’université de Georgetown, à Washington, mais à l’époque des trois grands pèlerinages – Chavouot (fête de la récolte), Soukkot (fête des cabanes) et surtout Pessa’h (la Pâque) –, la capitale de la Judée pouvait rassembler jusqu’à 300 000 personnes. » Le brassage était alors considérable. Selon les Evangiles, c’est précisément pour la Pâque, célébration majeure du judaïsme qui commémore l’exode des Hébreux hors d’Egypte, que Jésus, petit provincial de Nazareth, s’est rendu plusieurs fois au Temple d’Hérode.
Des conditions d’accès à chaque cour strictes
Comme n’importe quel pèlerin de son époque, il a dû suivre un parcours hautement ritualisé pour parvenir jusqu’au sanctuaire. La première cour – la plus vaste, dénommée « cour des Païens » (ou des Gentils) – était bornée par un avertissement en grec et en latin aux accents menaçants : « Défense à tout étranger de franchir la barrière et de pénétrer dans l’enceinte du sanctuaire. Quiconque aura été pris sera lui-même responsable de la mort qui s’ensuivra. » Au-delà de cette limite, la cour des Femmes constituait le dernier espace autorisé aux croyantes et aux enfants de moins de 12 ans. Les Juifs de sexe masculin, eux, pouvaient pénétrer jusqu’à la très étroite cour d’Israël accessible par la porte de Nicanor. La dernière cour, enfin, dite « cour des Prêtres », était réservée aux seuls officiants du Temple. Là, enveloppée des volutes de fumée émanant des autels sacrificiels, se dressait la façade tapissée d’or du sanctuaire. L’édifice flambant neuf atteignait la hauteur d’un immeuble de quinze étages. Sa partie basse, appelée le Saint – qui abritait le Chandelier à sept branches, la Table des pains et l’Autel des parfums –, précédait le Saint des Saints, lieu de séjour supposé de Yahvé, où une dalle de pierre du temps des prophètes avait remplacé l’Arche perdue. Dans cette pièce aveugle, isolée par un rideau, seul le Grand Prêtre avait le droit d’entrer à l’occasion du Kippour.
La cour des Païens, un espace ouvert à tous
Ce lieu de recueillement était environné d’une incessante clameur. Pour remercier Dieu ou lui adresser une requête, vaches, chèvres ou moutons étaient périodiquement immolés sur l’autel de pierre situé dans la cour des Prêtres. Selon la tradition, Marie et Joseph, trop pauvres pour s’offrir une bête à corne, auraient célébré la naissance de leur premier enfant mâle, Jésus, avec un simple couple de tourterelles. Pour la seule fête Pessah, des milliers d’agneaux étaient sacrifiés chaque jour à quelques mètres de l’édifice sacré. Mais c’est sur l’esplanade centrale, dans la cour des Païens, que l’agitation était à son comble. A l’époque des pèlerinages, cet espace ouvert à tous – hommes, femmes, hérétiques, infirmes – se transformait en un gigantesque bazar. Si le règlement imposait aux marchands de s’établir hors de l’enceinte, notamment sous les galeries du Portique royal situé le long du mur méridional, nombre d’entre eux contrevenaient à la règle dans l’indifférence générale. Dès le matin, quêteurs, rabatteurs et vendeurs à la sauvette arpentaient le parvis pour appâter le chaland.
Les affaires des marchands de bestiaux étaient particulièrement florissantes. La loi lévitique stipulait en effet que les animaux propitiatoires ne devaient présenter aucune tare. Pour éviter de s’exposer au refus des sacrificateurs, les fidèles préféraient souvent les acheter au Temple malgré les prix exorbitants pratiqués sur le parvis. C’est alors qu’intervenaient les changeurs. A l’époque du Christ, la monnaie officielle, romaine, était frappée des effigies des Césars. Considérée comme impure par les Juifs, elle ne permettait pas d’acquérir les animaux offerts en sacrifice. La monnaie sacrée – le sicle – était donc disponible auprès des « banquiers » de l’esplanade. Leur commission, qui oscillait du simple au double (jusqu’à 10 %), variait selon le poids et le métal de la monnaie d’origine. On entrevoit sans peine les arguties qui en découlaient.
Si l’orgueilleux sanctuaire a souvent été la cible des attaques verbales du Christ, aucune ne fut plus radicale que la dernière. Depuis le mont des Oliviers, d’où la vue sur le Temple était la plus belle, Jésus, à la veille de sa crucifixion, annonça la ruine définitive du bâtiment d’Hérode. Celui-ci ne survécut pas longtemps à cet anathème : en 70, les légions romaines de Titus y mettaient le feu. Ainsi disparut le dernier Temple dédié à Yahvé au cœur de Jérusalem. Sur son emplacement, d’autres édifices sacrés furent successivement élevés au cours des siècles : d’abord un sanctuaire dédié à Jupiter en 135, suivi, cinq cents ans plus tard, du Dôme du Rocher et de la mosquée Al-Aqsa. De l’énorme mur de soutènement qui ceinturait le mont du Temple ne subsiste aujourd’hui qu’un seul fragment mondialement connu : le « kotel », le mur des Lamentations. Même absent, le Temple continue d’attirer les foules : plusieurs millions de croyants s’y rendent chaque année en pèlerinage.
📸 En images : Jérusalem à l’époque romaine modélisée en 3D.
➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire de décembre 2019 – janvier 2020 sur Jérusalem (n°48).