La mise à disposition de ces documents doit permettre de répondre à la controverse sur Pie XII (1939-1958), critiqué pour n’avoir jamais condamné publiquement la Shoah.
Le 2 mars prochain, le Vatican ouvrira ses archives sur Pie XII, le pape le plus controversé de l’Histoire, critiqué pour n’avoir jamais condamné publiquement la Shoah, à une centaine d’historiens.
Pour le cardinal Tolentino de Mendonça, archiviste et bibliothécaire de la Sainte Eglise romaine, il s’agit d’un moment « décisif pour l’histoire contemporaine de l’Eglise et du monde ». Le prélat a souhaité que l’attention ne se concentre pas uniquement sur la Shoah, mais aussi sur « la tumultueuse période de l’après-guerre avec l’opposition croissante entre deux blocs », communiste et occidental.
Une polémique enclenchée tardivement
Décidée en mars 2019, la mise à disposition de ces documents doit permettre de répondre à la controverse sur Pie XII (1939-1958), une polémique qui a commencé tardivement dans les années 60. Et notamment à déterminer si le chef de l’Eglise catholique pendant la Seconde Guerre mondiale, un ancien diplomate du Saint-Siège en Allemagne mâtiné de prudence, a été trop silencieux et passif, face à la promulgation de lois raciales en Europe et au pire génocide de l’Histoire. Une prise de parole publique condamnant explicitement les agissements des nazis, parlant des lois raciales et de l’extermination des Juifs, aurait-elle pu influencer les catholiques allemands et changer le cours de l’Histoire ? Les détracteurs du Pie XII le pensent.
Ses soutiens arguent que des déclarations tonitruantes d’un pape, encerclé dans le Vatican par les nazis puis les fascistes italiens, auraient mis en danger les catholiques en Europe. La polémique a donné naissance à des dizaines d’ouvrages, dont des best-sellers ravageurs allant jusqu’à parler du « pape d’Hitler » (John Cornwell en 1999). Pour le grand rabbin de Rome, Riccardo di Segni, « l’histoire de Pie XII n’est pas « une légende noire » mais plutôt grise ». Dans un texte diffusé par la presse italienne, il estime que « les historiens devront travailler comme s’ils étaient dans une chambre stérile et isolée, libres de tout préjugé et influence ». Même s’il pense qu’il s’agit d’une utopie, tant le sujet est accaparé d’un côté par des défenseurs à tous crins de Pie XII, de l’autre par des accusateurs inflexibles.
« Il faudra des années pour émettre un jugement historique »
Cent cinquante chercheurs du monde entier ont déjà demandé l’accès aux seules « archives apostoliques » centrales du Vatican (ex- « archives secrètes »), a précisé jeudi Mgr Sergio Pagano, qui chapeaute cette section, mettant à disposition 121 fonds documentaires et 20.000 fascicules sur Pie XII. Les premiers servis seront des experts du musée-mémorial américain de la Shoah et des représentants de la communauté juive de Rome, précise-t-il. Les chercheurs se disputeront une vingtaine de places pendant ce qui sera « une année chargée », a-t-il reconnu. Mais des dizaines d’autres consulteront les autres archives significatives du Saint-Siège. Par exemple, les archives de la Congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Inquisition).
Selon son archiviste Mgr Alejandro Cifres Giménez, 200 mètres d’étagères abritant 1.749 fascicules sont consacrés aux 19 ans de pontificat de Pie XII. Consultables dans une salle de lecture de 14 places. Johan Ickx, des archives historiques de la Secrétairerie d’Etat (gouvernement central) portant sur les relations diplomatiques avec d’autres Etats proposera « 1,3 million de documents numérisés et répertoriés, pour aider les chercheurs à aller vite », une nouveauté. Les historiens pourront par exemple trouver des documents sur les contacts entre le nonce (ambassadeur du Saint-Siège) à Berlin et les autorités allemandes. « Il faudra des années pour examiner tous ces dossiers et émettre un jugement historique », estime Mgr Pagano, qui glisse néanmoins que « rien de surprenant n’a émergé », la période de la Seconde Guerre mondiale ayant déjà été grandement dévoilée par l’Eglise en 1981.