Après un voyage mémoriel organisé à Auschwitz, un lycéen a voulu aller plus loin et a rencontré une survivante des camps. Il a réalisé un documentaire et écrit un livre qui revient sur cette histoire de transmission.
Comme de nombreux lycéens normands, Baptiste Antignani a eu l’opportunité de visiter le camp de concentration d’Auschwitz. L’occasion, pour les adolescents, de se confronter à l’Histoire, aussi odieuse soit-elle. Sauf, que, sur place, le jeune homme de Rouen est surpris par sa réaction. « J’avais la compréhension historique de ce qui s’est produit là-bas et toujours un respect énorme face à la souffrance de ces personnes. Mais il y avait une forme d’injonction morale disant, il faut être triste. » Lui a besoin d’humaniser ce qu’il a vu. À son professeur d’histoire au lycée Corneille, il demande s’il peut entrer en contact avec une survivante. Requête acceptée : Baptiste appelle Denise Holstein. « Le premier contact a été très simple. Je lui raconte que je viens de Rouen, le voyage mémoriel à Auschwitz… » Entre la nonagénaire et le pas encore vingtenaire, des liens se créent rapidement, les deux ayant des extraits d’enfance similaires « à 75 ans d’intervalle », sourit Baptiste. Très vite, il envisage, en passionné de cinéma qui souhaite en faire son métier, de partager cet échange avec les autres lycéens en mettant sur pied un documentaire avec l’accord de Denise.
« Je ne voulais pas juste la considérer comme une rescapée »
Démarre un long travail de recherche, de demandes d’entretiens… « Avec Denise, nous nous appelions très régulièrement et nos échanges dépassaient la thématique. Mais nous avons mis un an avant de nous rencontrer. » Peu à peu, Baptiste Antignani entre dans « la compréhension émotionnelle ». Il n’est plus question des millions d’individus au destin tragique, mais d’une victime, personnifiée, qui porte le poids du devoir de mémoire au quotidien. La caméra de Baptiste capte des morceaux de ce qui deviendra Une vie nous sépare, un documentaire diffusé courant mars sur Canal + Family et en avril sur France 3 Normandie. Et aussi un livre éponyme, qui vient juste de sortir, une extension des images, une plongée dans les coulisses de ces échanges et dans des pans de vie de Denise Holstein et de Baptiste Antignani qui se plonge dans une foultitude de documents et de demandes d’entretiens.
Il décroche même un rendez-vous avec Serge Klarsfeld, avocat ardent défenseur de la cause des déportés et farouche militant pour la reconnaissance de la Shoah et de ses responsables ; une cause loin d’être vaine, tant le passé tend à s’effacer à mesure que les témoins directs disparaissent.
« Avec Denise, je ne voulais pas juste la considérer comme une rescapée des camps, continue le Rouennais. Je voulais comprendre la femme qu’elle est devenue ». Une étape ambitieuse. Car, si Denise Holstein affiche « une volonté de vie », la déportation et la perte de sa famille dans des conditions inhumaines ont longtemps rongé son quotidien à coups de silence et de non-dits. « Or, c’est le silence qui permet la transmission de la souffrance », analyse l’auteur/réalisateur.
Dans sa démarche, Baptiste ne se proclame pas défenseur de la lutte contre l’oubli. Son récit à la première personne et le documentaire, soutenu par Normandie Images, sont d’abord, « une démarche sincère. Je n’avais pas idée que cela arriverait si loin », s’étonne-t-il. Pourtant, alors que la mémoire s’étiole que nos contemporains ont de moins en moins les bases historiques (lire par ailleurs) et que les négationnistes continuent leur travail de sape, difficile de ne pas voir le beau symbole de transmission mémorielle entre la grande dame de 93 ans et le jeune homme de 19 ans. « Nous sommes construits de plein de mémoires. Et l’histoire de Denise est notre histoire à tous ; elle permet de ne pas banaliser l’horreur, de combattre cette idéologie et d’éviter que cela ne se reproduise », confie-t-il. Mais, pour lui, Denise n’est pas « qu’une » survivante. « Au fil des échanges, j’en suis venu à la considérer comme ma grand-mère. » Une aïeule dont il est nécessaire de ne pas laisser mourir les souvenirs.
Bravo à ce jeune homme, et il faudra regarder son documentaire quand il passera!!!