Entre 2015 et 2017, des escrocs ont empoché environ 55 millions d’euros en se faisant passer pour M. Le Drian, alors ministre de la défense du gouvernement Hollande.
Masque de ministre, fausse messagerie électronique, prétendue rançon… l’arnaque au faux Le Drian passe actuellement devant la justice. Mercredi 12 février, l’accusation a requis dix et quatorze ans de prison, ainsi qu’un total de 4 millions d’euros d’amendes à l’encontre de deux hommes soupçonnés d’avoir été les cerveaux d’une escroquerie consistant à usurper l’identité de l’ancien ministre de la défense, aujourd’hui ministre des affaires étrangères.
Le mode opératoire met immédiatement les enquêteurs sur la piste de Gilbert Chikli, considéré comme le pionnier de l’arnaque au «faux président». Condamné en 2015 en son absence à sept ans de prison pour «escroquerie en bande organisée», celui qui a inspiré un film à Pascal Elbé est réfugié en Israël, sa seconde patrie. Mais en août 2017, le quinquagénaire est interpellé en Ukraine en compagnie d’Anthony L., un de ses complices présumés. Les magistrats instructeurs suspectent le duo d’avoir voulu reproduire l’escroquerie au «faux Le Drian» en usurpant cette fois l’identité du prince Albert de Monaco. Ils s’appuient notamment sur une photo retrouvée dans un téléphone portable montrant un homme porteur d’un masque reproduisant grossièrement les traits du souverain monégasque.
La procureure a demandé la plus lourde peine pour Gilbert Chikli, 54 ans, considéré comme l’un des pionniers de l’arnaque téléphonique dite au « faux président ». Pour lui et son coaccusé, Anthony Lasarevitsch, 35 ans, elle a aussi réclamé une condamnation à 2 millions d’euros d’amende. A l’encontre des cinq autres prévenus âgés de 27 à 49 ans, dont l’un était absent au procès, elle a requis des peines allant de 6 mois à 5 ans de prison ferme, estimant qu’ils étaient complices en ayant, notamment, ouvert des comptes frauduleux ou réalisé du blanchiment d’argent. La 13e chambre rendra sa décision le 11 mars à 13 heures 30.
55 millions d’euros
Entre 2015 et 2017, des escrocs ont empoché environ 55 millions d’euros en se faisant passer pour le ministre de la défense du gouvernement Hollande. A l’époque, les malfaiteurs contactaient des dirigeants, chefs d’entreprise et ONG, leur demandant une aide financière pour des « opérations secrètes » de l’Etat français. Ils expliquaient avoir besoin de fonds afin de payer discrètement une rançon pour des otages en Syrie ou pour financer la lutte contre le terrorisme, promettant un remboursement immédiat par la Banque de France.
Selon le parquet, plus de cent cinquante cibles ont été approchées, parmi lesquelles le président du Gabon Ali Bongo, Sidaction, le PDG du groupe Lafarge ou l’archevêque de Paris. Trois victimes sont tombées dans le piège, dont l’une des plus grandes fortunes turques, Inan Kiraç, qui a perdu 47,4 millions de dollars (45 millions d’euros au cours de l’époque), et le chef spirituel des musulmans chiites ismaéliens, Karim Aga Khan IV, à qui 7,7 millions d’euros ont été extorqués.
La voix comme arme
« C’est comme un braquage, un hold-up, sauf que ça se fait au bout du fil, sans violence », a décrit Alice Chérif dans ses réquisitions. « Au final, c’est le même résultat qu’un hold-up sauf que l’arme, c’est la voix ». Elle a dépeint les deux principaux prévenus, qui ont clamé leur innocence tout au long du procès, comme un « duo » : d’un côté M. Chikli, le « roi de la déballe, celui qui s’expose », de l’autre M. Lasarevitsch, « l’homme de l’ombre, l’organisateur ». « La défense des prévenus s’éclate et se disloque sur la solidité et la réalité des preuves », qui, selon elle, « foisonnent dans le dossier ».
« Audacieux », « astucieux », « exceptionnel » : des qualificatifs « trop positifs » ont été accolés aux faits, a aussi estimé la magistrate. « C’est immoral, c’est pathétique, intolérable, inadmissible, pour ne pas dire infâme et sordide », a-t-elle insisté. « Derrière les millions, il y a des personnes qui sont cassées, qui ont perdu toute confiance en elles. »
Les deux hommes ont nié en bloc, tant le projet d’arnaque au «faux prince Albert» que l’escroquerie au «faux Le Drian». Dénonçant un dossier instruit «à charge» contre lui, Gilbert Chikli a même affirmé qu’il connaissait les «protagonistes de cette affaire» mais qu’«il ne fallait pas compter sur [lui] pour essayer de ramener ces personnes devant la justice française». Son défenseur, Me Stéphane Sebag, a quant à lui vigoureusement plaidé la relaxe, protestant contre les «incohérences» et les «lacunes abyssales» qui peuplent selon lui le dossier. Arguant qu’«il n’existe pas d’empreinte vocale», il a notamment tenté de décrédibiliser les quatre expertises de voix réalisées à partir d’enregistrements des conversations entre un des escrocs – que Gilbert Chikli nie être – et ses cibles.