Moshé Genzler soulève le couvercle d’une énorme casserole en aluminium, y plonge une louche et sert une portion fumante d’un ragoût de haricots, de pommes de terre et de boeuf.
C’est un jeudi soir au « Maadaniat Chef » (Les délices du chef), un petit restaurant spécialisé dans la cuisine juive traditionnelle d’Europe de l’Est, dans la ville de Bnei Brak, peuplée en grande majorité d’ultra-orthodoxes et située près de Tel-Aviv.
Les boulettes de poisson (« gefilte fish« ), le « kugel » de pommes de terre et le foie haché font pâle figure face à ce qui fait la renommée du restaurant: le « hamin« . Aussi connu sous le nom de « cholent« , ce ragoût est traditionnellement consommé le samedi midi, durant shabbat, jour de repos hebdomadaire du judaïsme.
Mais il connaît aujourd’hui une véritable renaissance en Israël, où il est de plus en plus servi le reste de la semaine. Pendant que des résidents ultra-orthodoxes de Bnei Brak dégustent leurs plats chauds, trois femmes âgées et un homme non pratiquants, scrutent le menu.
Vivant dans des villes avoisinantes, ils sont venus célébrer un anniversaire dans un restaurant aux saveurs de leur enfance. « Nous voulions essayer quelque chose de différent », déclare l’une des femmes. Après un trajet en bus depuis Kfar Daniel, un village situé entre Jérusalem et Tel-Aviv, un groupe de retraités viennent également redécouvrir des plats de leur enfance, accompagnés du guide Yair Landsberg. « Un plat est un souvenir, confie ce dernier. « Quand on sent ses odeurs, on retrouve des souvenirs et on ressent de la nostalgie. »
Un plat à la mode
Selon M. Genzler, le jeune gendre ultra-orthodoxe des propriétaires du restaurant, qui tient le comptoir, la popularité du « hamin » augmente. « Vous avez des gens de tous horizons: ultra-orthodoxes, laïcs, toutes sortes de gens religieux. Les groupes qui visitent Bnei Brak s’arrêtent ici pour vivre une expérience authentiquement juive« , affirme-t-il.
Le « hamin », signifiant en hébreu « chauds« , est né au Ier siècle de l’interdit de cuisiner durant shabbat. La loi religieuse juive permet toutefois de « préparer un plat avant shabbat et de le laisser mijoter durant la journée », explique Shmil Holand, chef et expert de la culture et de la nourriture juive. « C’est comme ça que ce plat a été créé », ajoute-t-il.
Alors que certains des Juifs expulsés de la terre d’Israël il y a environ 2.000 ans sont partis vers l’Afrique du Nord, l’Espagne et les Balkans, les autres ont émigré vers Rome et l’Europe de l’Est. Au fil du temps, les Séfarades du Maghreb et les Ashkénazes d’Europe de l’Est ont créé leur propre variation du plat, en fonction du climat et des ingrédients sur place, précise M. Holand. « Et ensemble, quelque chose de nouveau a vu le jour », raconte le chef dans la spacieuse cuisine de sa maison de Jérusalem.
L’élément clé commun aux différentes recettes: la technique de cuisson lente. Pour les Juifs européens, le plat s’appelle « cholent », souvent présenté comme le dérivé des mots français « chaud » et « lent ». « Les ragoûts cuits lentement sont généralement préparés pendant trois, quatre ou cinq heures, et non pendant une journée entière », explique M. Holand. Alors que la version juive, qui devait être cuite vendredi avant le shabbat, était « cuite au moins 12 heures », explique ce chef ashkénaze.
En Israël, le plat n’est plus seulement une tradition religieuse, mais est devenu un plat d’hiver populaire, prisé par ceux qui ne suivent pas la loi religieuse.
Souvenirs d’enfance
A Ramat Hahaya, le quartier chic de Tel-Aviv, un festival organisé dans l’aire de restauration Shuk Hatzafon met à l’honneur le « hamin ». Chaque jeudi et vendredi de janvier, il est possible d’y goûter les différentes variations du plat: autrichienne, irakienne, indienne… Pour Shimon, un jeune homme de Tel-Aviv, manger ce plat, c’est comme être « à la maison, peu importe votre origine ».
Malgré sa popularité croissante, le « hamin » conserve une signification religieuse, estime M. Genzler. « C’est un symbole qui représente le shabbat pour un juif, explique-t-il. Il l’est depuis des millénaires et cela va toujours rester de la nourriture juive. »
Pour Bruce Lax, qui a grandi dans un quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem, le « hamin » du chef de Maadaniat a le « goût de son enfance ». « Cela vous rappelle des lieux, des gens, des saveurs, et même des prières dans certaines synagogues », où le plat est servi après la prière, poursuit M. Lax, qui comme la plupart des admirateurs du « hamin », cuisine sa propre version. Son ingrédient secret? « Une bonne bouteille de vodka en accompagnement. »