Né au Maroc, Michael Zaoui, le spécialiste des fusions-acquisitions passé chez Morgan Stanley est aussi influent que discret. Portrait.
«Talentueux », « modeste », « ne s’expose que rarement ». Raconté par ceux qui le connaissent ou ont travaillé à ses côtés, Michael Zaoui tient dans la longue lignée des banquiers d’affaires millionnaires la place du bon élève autant que celle du (bon) petit génie.
On le dit imaginatif et intuitif, fin psychologue et excellent négociateur. Pas mégalo, mais conscient de ce qu’il vaut. Capable de rappeler à un P-DG en déroute qu’il a besoin d’un « combattant », comme il le fit en 1999 avec Domenico De Sole, le patron de Gucci aux abois devant la tentative de rachat de Bernard Arnault.
Anne Méaux, la conseillère image du CAC 40, précise : « Il a des valeurs et ne correspond pas au cliché du financier. » Comprendre : « très famille » et « bien éduqué ».
Passionné d’histoire militaire, le sexagénaire, qui aurait « adoré être général », s’est forgé en trois décennies la réputation d’un as des fusions-acquisitions, ces opérations parfois géantes, souvent hostiles, qui nécessitent de savoir naviguer au milieu des luttes d’égos en restant dans le sillage des dirigeants qui comptent.
Après vingt-deux ans à Morgan Stanley, c’est en duo avec Yoël, son frère et alter ego chez Goldman Sachs, que Michael Zaoui tient depuis 2013 la barre de son propre navire, Zaoui & Co.
Londres, 1990…
Lorsqu’il débarque à Londres en 1990, l’International Stock Exchange est la dernière grande place boursière à effacer les séquelles du krach d’octobre 1987. Le Footsie (indice boursier des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées) atteint des sommets, la confiance est de retour.
Avec la dérégulation de la City, entraînée par le « Big Bang » de Margaret Thatcher en 1986, les fleurons de Wall Street voient dans la capitale une position idéale pour prendre pied sur le continent, où la construction du marché unique, la libéralisation de l’investissement et une vague de privatisations entraînent un mouvement sans précédent de rapprochement entre entreprises.
Remarqué pour son entregent et sa vivacité d’esprit, le financier de 34 ans, entré chez Morgan Stanley à New York quatre ans plus tôt, joue un rôle central dans la mise en place en Europe du conseil en fusions-acquisitions de la banque. Il contribue notamment à sa structure parisienne et, placé à la tête de l’activité M&A sur le marché européen en 1997, réussit la même année à hisser son employeur en haut du classement des banques-conseils en France. Pour la première fois en dix ans, l’inamovible Lazard cède sa place de numéro un.
Dans les plus grands deals qui émaillent l’actualité
Interrogé dans la presse quelques mois plus tard, Michael Zaoui prévient : « L’Europe va représenter une part plus importante du gâteau. » Et il sera l’un des premiers à se servir.
La décennie suivante voit son nom dans tous les grands deals qui émaillent l’actualité des marchés du continent, des fusions géantes (Guinness et Grand Metropolitan, Sanofi et Synthélabo, Promodès et Carrefour, Unibail et Rodamco) aux acquisitions à coups de milliards (Générale de Banque par Fortis, Vendex par KKR, BOC Group par Linde, Orascom Cement par Lafarge).
« Deux Français, Michael Zaoui, responsable des fusions et acquisitions pour l´Europe chez Morgan Stanley, et son frère Yoël, qui occupe des fonctions similaires chez Goldman Sachs, sont omniprésents dans les transactions françaises et européennes », note Le Monde en 2001.
Maestria technique et psychologie
Sur son ascension au sommet des fusacs, son entourage est unanime. L’un loue sa maestria technique, un autre son sens du timing et sa gestion des tempéraments.
L’avocat Jean-Michel Darrois, qui a travaillé avec et contre lui, assure : « Dans les affaires, il y a souvent des blocages liés à des incompréhensions, des inimitiés. Lui a un don particulier pour établir de bonnes relations entre les gens et trouver des solutions». « Il est capable d’intégrer des paramètres variés, financiers, techniques, juridiques, humains, en jonglant avec des dynamiques parfois contraires. Tout le monde n’a pas ce talent », détaille un ancien de Morgan Stanley.
Un homme de coups ou un conseiller au long cours?
« C’est un homme de coups, pas un conseiller au long cours », concède un autre. Un rainmaker (fait la pluie et le beau temps) capable de créer la surprise. Comme en 1999, quand lui et son frère, engagés dans leurs banques respectives aux côtés d’Elf, sous le coup d’un rachat hostile par TotalFina, importent des États-Unis la technique du « Pac-Man » (tactique de défense contre les prises de contrôle hostiles à haut risque) et contre-attaquent avec une OPE. L’offre n’aboutit pas, mais fait monter les enchères. Sa devise, s’il en a une, pourrait venir de Sun Tzu : « Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie. »
2008, départ de Morgan Stanley
Quand il quitte Morgan Stanley en mars 2008, au plus fort de la crise financière, les projets d’avenir de Michael Zaoui ne font aucun doute. « Il avait depuis longtemps une stratégie de communication autour de son nom. En 1999, un article de Vanity Fair a fait des vagues dans la banque. On lui a reproché de trop se mettre en avant », confie un observateur.
Le papier en question, publié dans la version internationale du magazine, narre les coulisses du raid de Bernard Arnault sur Gucci. Le nom du financier y apparaît une trentaine de fois. « On le soupçonne depuis longtemps de vouloir monter sa boutique, peut-être avec son frère Yoël », lance le Wall Street Journal dès l’annonce de son départ.
Lui déclare : « Je n’ai aucune intention de me retirer sur une plage pour le restant de mes jours », et l’année suivante crée à Londres ZAM Capital, son véhicule d’investissement personnel.
Un solide réseau
Avec les plus de 300 milliards d’euros de transactions sur lesquels il a travaillé ces dix dernières années, Michael Zaoui peut compter sur un solide réseau d’amitiés. « Morgan Stanley a été un observatoire de la vie politique et économique qui lui a permis d’être au contact de beaucoup de dirigeants en Angleterre, aux États-Unis, en France, en Italie, et d’avoir des informations en permanence », observe Jean-Michel Darrois.
Parmi ses relations privilégiées, François Pinault figure en bonne place. Michael Zaoui l’a conseillé dans la bataille équipe qui l’opposa en 1999 et 2001 à LVMH. Pas avare de compliments sur l’intéressé, le fondateur de Kering, avec lequel il partage une passion pour l’art, le considère tout simplement comme « le meilleur de sa génération ».
Carnet d’adresses
Dans son carnet d’adresses se trouvent également Daniel Bouton, ex-président de la Société Générale, qu’il a assisté en 1999 face à l’offensive de la BNP, et Gérard Mestrallet, ancien patron d’Engie, pour lequel il a orchestré cinq opérations majeures en dix ans dont la fusion entre Suez et Gaz de France en 2007. Entre les deux hommes, la confiance est totale. L’acquisition en 2011 par GDF Suez d’International Power, conseillée par Yoël côté français, le propulse au rang d’administrateur de la société britannique jusqu’en 2015.
Michael Zaoui est aussi un proche de l’homme d’affaires italien Carlo De Benedetti, président d’honneur de L’Espresso. Il siège depuis 2015 au conseil d’administration du groupe de presse (son nom apparaît dans les mentions légales du quotidien de centre gauche La Repubblica). On lui reconnaît également une relation de longue date avec la famille Bettencourt-Meyers.
Discret, le banquier, qui a un passeport britannique et possède les nationalités marocaine et française, s’est construit une image aux antipodes d’un autre spécialiste des fusacs, Matthieu Pigasse : l’ex-patron médiatique de Lazard France, auteur de plusieurs livres, encarté un temps au Parti socialiste, dont le holding rassemble des journaux, une radio, une maison de disques et un festival.
D’aucuns lui reconnaissent un même esprit « Rastignac », mais pas trace d’engagement politique. À peine une participation au dîner organisé pour financer son mouvement par Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’État à l’Emploi, à Londres en juin 2010. Un proche reconnaît toutefois que s’il était américain, « Michael voterait sûrement démocrate ».
Fondation Anna et Michael Zaoui
Comme beaucoup de financiers avant lui, l’homme s’exerce à la philanthropie. Il a créé en juin 2013 sa fondation, Anna et Michael Zaoui. Dédiée à la promotion et l’éducation dans les arts et les sciences, elle a dépensé plus de 760.000 livres entre juin 2017 et juin 2018 dans des activités en Angleterre, en France et aux États-Unis.
Féru de musique classique, il occupe depuis 2012 le poste de « governor » du Southbank Centre, un complexe culturel au bord de la Tamise. C’est dans l’une de ses salles, le Queen Elizabeth Hall, qu’il a dirigé en mars 2018 un orchestre de chambre. Au programme de la soirée : L’arrivée de la reine de Saba de Haendel et la symphonie nᵒ 40 en sol mineur de Mozart.
Solides attaches avec le Maroc
S’il a quitté le Maroc à l’âge de huit ans, Michael Zaoui garde de solides attaches avec son pays natal. Il est marié à une Marocaine, Anna Benhamou, ex-actuaire dans une compagnie de réassurance. À Londres, elle a fondé et dirige The Invisible Collection, un site de vente de mobilier design. Quand son père meurt en février 2006, en pleine offensive de Mittal sur Arcelor (une OPA qui l’oppose à son frère), il rentre immédiatement à Fès. « J’ai fait le tour du cimetière israélite en bordure de l’ancien mellah, un endroit étonnant avec ses petites tombes blanches et simples. C’était comme un retour aux sources. »
À Casablanca, le musée du judaïsme abrite une copie d’un « appel à la population israélite du Maroc » rédigé à Fès en 1933 par son grand-père maternel, Azouz Cohen. Ce propriétaire terrien y exhorte les Juifs à apprendre l’arabe pour « resserrer les liens de mutuelle compréhension et d’estime avec nos amis musulmans ».
Renforcée par le cloisonnement ethnique imposée par le protectorat, méconnaissant la langue officielle et soumise aux tensions liées à la montée du nazisme et au conflit en Palestine mandataire, la communauté juive marocaine est alors parfaitement étanche au mouvement nationaliste qui naît dans les milieux réformistes. « Ma mère me parlait souvent de ce document qui m’a marqué. C’est significatif de l’amitié entre les deux communautés. »
Education stricte
Né à Fès en décembre 1956, Michael Zaoui est élevé par une institutrice, Violette, et Charles, un avocat de formation. Son éducation est stricte, ses parents exigeants. Dans un Maroc tout juste indépendant, son père dirige le cabinet du ministre du Travail, Abdallah Ibrahim, puis la conversation foncière et le service topographique chérifien à Rabat.
Membre de l’Union marocaine de l’agriculture, un syndicat de la bourgeoise rurale affilié à l’Istiqlal, il rédige un rapport remarqué sur la réforme agraire qui est soumis à l’été 1960 au Conseil supérieur du plan. Il représente l’année suivante le Maroc à la première assemblée générale de l’Association cartographique internationale à Paris.
La famille déménage ensuite à Rome où Charles travaille au siège de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, pendant que Michael effectue sa scolarité au lycée Chateaubriand en filière mathématiques. Il est reçu premier à l’épreuve d’italien au concours général de 1972 et visite avec son père l’Élysée où George Pompidou reçoit les lauréats. En 1977, Charles rejoint l’Unesco à Paris jusqu’à sa retraite en 1987.
Après Sciences Po, Michael étudie à London School of Economics, Panthéon-Sorbonne et Harvard. Il entre à la Banque Rothschild, avant sa nationalisation en 1982, et intègre Mac Group, racheté depuis par Capgemini, en 1983.
Décoré par le roi en 2014
En ce 30 juillet 2014 à Rabat, des dizaines de personnalités reçoivent du roi les traditionnels ordres du royaume à l’occasion de la fête du Trône. Sur le parvis du palais, les invités décorés ont tous les profils. On y trouve des philosophes, Edgar Morin et Ali Benmakhlouf, un ancien chef du gouvernement, Abbas El Fassi, un homme d’affaires, Mo Ibrahim, la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, et Michael Zaoui.
« En récompense de ses mérites civils », ce dernier arbore au côté gauche de sa poitrine la médaille d’officier du Wissam Al-Arch : une plaque en or suspendue à un ruban en soie, constituée d’ailes rayonnées, d’étoiles marocaines et des armoiries du pays. Le communiqué officiel précise qu’il est un « expert financier » et qu’une médaille du même ordre lui a été remise au nom de son frère « qui n’a pas pu se présenter ».
Zaoui & Co à Londres
Cette absence en a fait sourire plus d’un tant la symbiose entre les deux hommes est spectaculaire. L’année précédente, les anciens rivaux ont joint leurs forces dans une boutique qui porte leur nom (Yoël a quitté Goldman Sachs en avril 2012) et ont constitué une équipe qui peut tenir dans « à peine plus de deux taxis », souligne The Telegraph.
On est loin du temple ultramoderne de Morgan Stanley à Canary Wharf : un immeuble haut de 80 mètres dans lequel Michael Zaoui occupait le septième étage entouré d’une armée de banquiers en costumes-cravates. Mais la recette fonctionne. Le service est sur-mesure, le tandem disponible à toute heure.
Cité dans les principales transactions du moment (le rachat par L’Oréal d’une partie de son capital à Nestlé, l’échange d’actifs entre Novartis et GlaxoSmithKline, la recapitalisation de PSA et la fusion entre Lafarge et Holcim), Zaoui & Co termine l’année 2014 avec plus de 110 milliards de dollars de transactions conseillées, soit 16 % des M&A en Europe.
Sept ans après avoir officialisé leur union, les deux frères continuent de piloter leur boutique depuis un townhouse georgien situé à Hill Street dans le très chic Mayfair. Le quartier est celui des « kiosques » qui ont fait leur place, au même moment que Zaoui & Co, sur un marché longtemps réservé aux blue chips. Quelques minutes à pied suffisent à rejoindre LionTree, Robey Warshaw et d’autres boutiques de taille plus importante dont Perella Weinberg et Centerview Partners.
Nomination à la CSMD
Nommé en décembre 2019 à la commission sur le modèle de développement, Michael Zaoui considère que le Maroc « est un pays formidable » en raison de « sa position », « de ce qu’il entreprend » et de « ses perspectives de développement ». Mais il n’en dira pas plus.
Patron de Richbond, Karim Tazi, qui siège à ses côtés dans la nouvelle instance, assure qu’aucun membre ne le connaissait avant sa nomination et se dit « agréablement surpris » par le personnage. « Il a abordé sa mission avec enthousiasme et humilité. Il est conscient d’être déconnecté de la réalité politique, économique et sociale du Maroc, mais il fait des efforts pour s’en imprégner. »
Le banquier a déjà eu l’occasion de travailler dans le royaume. En 2016, il a conseillé LafargeHolcim dans la fusion de Lafarge Ciments Maroc et Holcim Maroc et la création d’une joint-venture en Afrique avec la SNI. Une opération à 3,6 milliards d’euros.
Les bénéfices
Contacté par nos soins, Michael Zaoui n’a pas non plus souhaité s’exprimer sur les activités de sa boutique. Les résultats de l’exercice 2018 montrent que son chiffre d’affaires provient majoritairement d’Europe avec des opérations nouvelles au Proche et Moyen-Orient et en Asie du sud-est. Le banquier annonçait la même année à la presse britannique être en train de travailler sur des deals en Israël et en Suisse, où il siège depuis 2019 au conseil d’administration du groupe de gestion genevois Decalia. L’ouverture à de nouveaux marchés n’a pas pour autant été synonyme de performances.
Entre 2017 et 2018, les bénéfices de la société ont chuté de 55 % à 2,35 millions de livres, pour un chiffre d’affaires de 8,57 millions. Difficile néanmoins de prévoir la suite, le marché étant par nature cyclique. Côté rémunération, le duo s’est partagé 2,1 millions de livres entre 2016 et 2018. Les dividendes versés s’élevaient au cours de la même période à près de 13 millions.
En 2016, le Financial Times jugeait toutefois « peu probable » que les résultats enregistrés au Royaume-Uni par Zaoui & Co incluent tous les honoraires perçus par les deux frères dans le cadre de transactions géantes, comme le rapprochement à 40 milliards d’euros entre Lafarge et Holcim et la fusion à 15,6 milliards d’euros entre Alcatel-Lucent et Nokia.
Selon le quotidien, « les dossiers réglementaires aux États-Unis indiquent que la boutique a reçu 22 millions de dollars pour son rôle de conseil auprès de Dresser-Rand lors de sa vente à Siemens en 2014 », ajoutant que « Zaoui & Co est également immatriculée au Luxembourg où la plupart de ses revenus sont enregistrés ».
C’est depuis les comptes de cette société mère, Zaoui & Co S.A., constituée dans le Grand-Duché en mars 2013, que les deux frères se sont versés environ 18 millions d’euros entre 2015 et 2018. En juin 2019, le site américain The Real Deal, spécialisé dans l’immobilier, révélait que Yoël avait acquis l’année précédente un condominium de 430 mètres carrés au trentième étage du gratte-ciel 520 Park Avenue à New York. Prix de la transaction : 25,9 millions de dollars.
Nouveau véhicule
À 63 ans, Michael Zaoui ne semble pas pressé de prendre sa retraite. En 2017, il a créé un nouveau véhicule, Diadochi Ltd, qui possède 50 % de Zaoui & Co S.A. (Yoël a fait de même avec Fusione Ltd). Le nom renvoie aux Diadoques, les généraux d’Alexandre le Grand qui se disputèrent son empire après sa mort. Un clin d’œil au destin de Zaoui & Co ? « Leur parcours a été emprunté par beaucoup de banquiers avant eux. La différence, c’est qu’ils n’ont pas la volonté de monter un modèle d’affaires avec des centaines de personnes et les compétences d’une organisation internationale.
Ils ont créé une boutique de haute-couture qui disparaîtra sans doute avec eux. Quand on fait appel à Zaoui & Co, on embauche les deux frères », résume un spécialiste des fusacs.