Cet islamiste de 31 ans a été mis en examen ce vendredi. Il appartenait au groupe qui aurait enlevé en 2013 une militante des droits humains, Razan Zaitouneh. Cette icône de la révolution syrienne n’est jamais reparue.
Un sourire comme une cicatrice. De Razan Zaitouneh, avocate syrienne et militante des droits humains, il reste un visage lumineux sur des photos et des vidéos, témoignage des exactions du régime, des atrocités des milices djihadistes et du martyre des populations civiles. Enlevée un soir de décembre 2013 dans la grande banlieue de Damas, la jeune femme n’est jamais reparue. Elle avait 36 ans. Probablement morte sous la torture, elle reste dans les mémoires comme l’icône de la révolution syrienne.
Selon nos informations, l’un des membres du groupe djihadiste soupçonné d’être impliqué dans sa disparition a été arrêté mercredi… à Marseille (Bouches-du-Rhône), au terme d’une traque de six années menée par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM), la justice et la gendarmerie françaises. Cet homme, un islamiste radical syrien de 31 ans, se trouvait en France au titre d’un visa Erasmus. Majdi Mustafa Nameh, aka Islam Alloush dans le djihad, a été mis en examen ce vendredi pour « torture, disparition forcée et crime de guerre ». Il doit désormais passer devant le Juge des libertés et de la détention (JLD) qui statuera sur son éventuelle incarcération provisoire requise par le parquet.
L’histoire de Razan Zaitouneh, détaillée dans un livre (NDLR : « De l’ardeur, par Justine Augier », Actes Sud), résume à elle seule les espoirs déçus d’une révolution et éclaire la destinée d’un pays en proie à la guerre civile. Dès les années 2000, l’avocate est la première femme à défendre les détenus politiques, islamistes notamment, incarcérés dans la prison de Saidnaya, centre concentrationnaire du régime.
En 2011, la lauréate du prix Sakharov pour la liberté de l’esprit décerné par le Parlement européen participe aux premières manifestations pacifiques contre le pouvoir. Devenue la bête noire du gouvernement de Bachar al-Assad, elle est contrainte de se cacher et rejoint, en 2013, Douma, principale ville de la Ghouta orientale, banlieue de Damas.
Une farouche militante laïque
L’enclave est sous contrôle rebelle. Et plus particulièrement sous la domination de Jaysh al-Islam («armée de l’Islam»), une coalition de groupes salafistes qui prône la charia, forte de plus de 20 000 combattants. Ses principaux leaders ont été relâchés à l’été 2011 par le régime de Bachar al-Assad après avoir bénéficié d’une amnistie. Selon la FIDH et le SCM, le groupe contrôle la zone d’une main de fer et multiplie les exactions : enlèvements, enrôlements d’enfants soldats, meurtres d’opposants… Plusieurs témoins attestent de la torture pratiquée à haute dose dans ses sinistres centres pénitentiaires, dont l’un est baptisé «prison de la repentance».
Razan Zaitouneh, farouche militante laïque, assiste de l’intérieur à cette dérive de la révolution, mais ne ferme pas les yeux. C’est la raison pour laquelle elle a créé le Centre de documentation des violations en Syrie (VDC), base de données qui permet de documenter les exactions commises par tous les belligérants. Une vigie dans la nuit. Le 9 décembre 2013, dans une ultime vidéo en anglais, elle décrit les conséquences du siège de la Ghouta. La nuit suivante, l’avocate est enlevée avec son mari, et deux de ses amis et collaborateurs. On ne les reverra plus.
Une cible pour l’organisation
Très vite, deux hypothèses se font jour. Celle d’un enlèvement opéré par le régime. Et celle, privilégiée par la FIDH et le parquet de Paris, d’un rapt par le groupe islamiste radical Jaysh al Islam. Avant de disparaître, l’avocate travaillait notamment sur les conditions de détention à Douma, ce qui en avait fait une cible pour l’organisation. Jaysh al-Islam a toujours nié son implication dans ces quatre enlèvements.
Après la disparition de l’activiste, la guerre civile continue de ravager le pays, faisant plus de 380 000 morts selon un dernier bilan qui pourrait en réalité être plus élevé si on prend en compte les disparus. Peu à peu, avec l’appui des forces russes, le front se renverse : le régime de Damas reprend le territoire et encercle la Ghouta. Au printemps 2018, à la faveur d’un accord négocié, les derniers combattants islamistes quittent la ville dans des bus, ce qui leur permet de rejoindre la région d’Idlib pour poursuivre le djihad armé ou la Turquie pour participer aux négociations de paix.
Des «enfants de 13 et même 12 ans»
Les bourreaux de Zaitouneh sont-ils parmi eux ? Le pôle crime contre l’humanité du Parquet national antiterroriste (PNAT) ouvre à Paris une enquête préliminaire pour «disparition forcée, crime contre l’humanité et crime de guerre» à la suite d’une plainte très documentée de la FIDH et du SCM déposée en juin 2019. «Le sort de Mme Zaitouneh [de son mari et de ses collaborateurs] démontre le prix extrêmement lourd payé par des militants de la société civile syrienne depuis le début du conflit syrien, ciblés à la fois par un régime résolu à faire taire toute voix dissidente, et par des groupes armés ayant une idéologie qui se trouvait menacée par leur activisme», lit-on notamment dans la plainte.
Même s’il n’est pas suspecté d’avoir directement pris part à cet enlèvement, l’homme qui vient d’être mis en examen avait un rôle prééminent au sein de Jaysh al-Islam. De son nom de guerre «Islam Alloush», cet ex-capitaine de l’armée syrienne ayant fait défection en était le porte-parole. Selon le SCM, il était en réalité un combattant : on le voit sur les réseaux sociaux prendre la pose vêtu d’un uniforme camouflé et armé d’un fusil d’assaut. Toujours selon la même source, un témoin le désigne comme «responsable du recrutement des moins de 18 ans», allant jusqu’à enrôler des «enfants de 13 et même 12 ans».
Arrêté avec l’appui du GIGN
La semaine dernière, les enquêteurs français apprennent que le djihadiste va assister à un cycle de conférence organisé par l’université Aix-Marseille. Durant tout le week-end, les gendarmes et policiers de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH) entendent des témoins pour consigner les dernières informations le mettant en cause. Le suspect est finalement arrêté mercredi au petit matin à Marseille avec l’appui de la section de recherches de gendarmerie et le GIGN. Il conteste toute implication dans la disparition de la militante des droits humains.
« Dans un conflit où les crimes ont été — et continuent à être — extrêmement documentés, la lutte contre l’impunité doit concerner toutes les parties coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité », remarque Mazen Darwish, le président du SCM. « L’engagement pacifique de Razan, sa droiture, ses valeurs, sont restés emblématiques des espoirs portés à ses débuts par le soulèvement démocratique syrien. Il est temps que les Syriens sachent enfin ce qui lui est arrivé », complète Me Clémence Bectarte, avocate et coordinatrice du Groupe d’action judiciaire de la FIDH.
Par Timothée Boutry et Eric Pelletier
bien fait pour sa personne !