Selon nos informations, l’un des créateurs de l’arnaque à la taxe carbone installé en Israël est suspecté d’avoir escroqué plus de 6 millions d’euros à des épargnants poussés à investir dans le bitcoin, l’or ou le diamant.
Son nom revient depuis près de dix ans lorsqu’on évoque les escroqueries de grande ampleur et il est suspecté de ne pas avoir renoncé aux magouilles. Fabrice Sakoun, franco-israélien de 46 ans, a été arrêté en décembre dernier dans sa luxueuse maison située au nord de Tel-Aviv dans le cadre d’une vaste enquête lancée il y a deux ans par les gendarmes de la section de recherches de Strasbourg. Interpellé en compagnie de cinq autres personnes installées en Israël, Fabrice Sakoun est, depuis, considéré comme « suspect » par l’Etat hébreu mais est toujours en liberté.
Proactif dans ce dossier, Israël pourrait même accepter, dans les prochains mois, l’extradition vers la France de l’escroc rendu célèbre pour la fameuse arnaque à la taxe carbone. Patron d’une boucherie casher, vendeur de vêtements sur les marchés puis reconverti dans le commerce de gros, Fabrice Sakoun est considéré comme l’un des créateurs de cette arnaque hors norme qui lui aurait permis, avec des complices, de détourner plus de 50 millions d’euros en quelques mois à la fin des années 2000. Jugé en 2011 à Paris et condamné à cinq ans de prison pour escroquerie en bande organisée, il avait préféré s’envoler pour Israël en janvier 2012, quelques heures avant le rendu du jugement…
L’arnaque à la cryptomonnaie
C’est presque par hasard que les gendarmes strasbourgeois sont retombés sur cette vieille connaissance. En novembre 2017, une épargnante dépose plainte à la gendarmerie de Sélestat (Bas-Rhin). Elle explique aux enquêteurs avoir investi 15000 euros sur un site qui propose de placer son argent dans la crypto-monnaie.
La promesse de rendements très intéressants laisse espérer à cette femme une plus-value rapide. Le site semble sérieux, présente bien et vante un investissement « en toute confiance ». L’épargnante est conquise. Presque tous les jours, elle se connecte sur le site et voit son argent fructifier. Une application lui permet même de suivre ses placements en direct. Mais tout cela n’est qu’une coquille vide. Quand elle veut retirer son argent, elle se rend compte de l’arnaque et dépose plainte.
Les gendarmes constatent rapidement que ce site bidon n’est pas un cas isolé et découvrent une nuée de sites tous liés entre eux qui propose d’investir dans les bitcoins, l’or ou le diamant. Un nuage de fumée. Tous sont faux.
En janvier 2019, une information judiciaire est ouverte par la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Nancy (Meurthe-et-Moselle). En quelques semaines, les gendarmes parviennent à identifier plus de 80 victimes, majoritairement en France mais aussi en Belgique. Des centaines d’autres pourraient avoir été escroquées. Le parquet estime à 6 millions d’euros le préjudice, mais une source proche du dossier évoque près de 9 millions d’euros de tentatives heureusement évitées. « Certains ont tout de même investi plus de 100000 euros et ont tout perdu, confie un proche de l’enquête. Les victimes sont de toutes les catégories sociales, et espéraient juste trouver un placement plus rentable que le livret A… »
Collaboration entre les polices
En toute discrétion, quatre personnes sont interpellées en janvier 2019 et mise en examen. Trois sont incarcérées, suspectées d’avoir conçu les faux sites Internet ou fabriqué de fausses factures pour berner les épargnants. Les investigations des enquêteurs, qui pistent l’argent en Europe de l’Est ou à Hongkong, les conduisent aussi en Israël, où se situent les cerveaux de l’arnaque.
A la fin du mois de décembre, les gendarmes de la section de recherches de Strasbourg se rendent dans plusieurs grandes villes du pays, épaulés par une trentaine d’enquêteurs de la police judiciaire de Kfar Saba. « Il y a eu une vraie collaboration qu’il faut saluer », souligne un proche de l’enquête. Sur place, des dizaines de documents incriminant les escrocs sont saisis, dont des listings de cibles à démarcher en France. « Les autorités israéliennes devraient prochainement transmettre ces documents à la France, assure la même source. C’est essentiel à la poursuite de l’enquête en France » où d’autres suspects sont encore dans le viseur des autorités.
Criminalité : Israël collabore mieux avec la France
Israël n’est plus la terre promise pour les escrocs Français. Mardi encore, le tribunal de district de Jérusalem a autorisé l’extradition vers la France d’un criminel sexuel qui s’était réfugié dans l’Etat hébreu pour échapper à la justice française. C’est le premier cas de l’année, « et loin d’être le dernier », assure-t-on du côté de l’ambassade d’Israël à Paris.
En 2019, quatre ressortissants Français ont été extradés d’Israël contre un seul en 2018. Le 5 décembre dernier, le même tribunal a autorisé en ces termes l’extradition d’un père de famille des Hauts-de-Seine ayant soutiré à sa femme la garde des enfants : « Malgré l’atteinte à la liberté individuelle, la loi autorise l’extradition parce qu’Israël est déterminé à aider la lutte internationale contre la criminalité, et également parce qu’elle ne souhaite pas être un refuge pour les criminels ».
L’opinion publique israélienne comme les autorités voient désormais d’un très mauvais œil ces opportunistes qui effectuent leur « alyah » (migration spirituelle vers Israël) pour échapper à des poursuites judiciaires. Ou utilisent l’Etat hébreu comme base arrière pour leurs escroqueries : arnaque dite au « président » ou au « faux virement ». « Ils exhibent leur argent, sont sans foi ni loi, ils sont une honte pour notre religion et notre pays » explique un Franco-Israélien venu prendre sa retraite à Tel Aviv.
Signe de ces temps qui changent : en avril dernier, le Franco-Israélien Stéphane Alzraa, condamné par contumace pour avoir corrompu le commissaire divisionnaire Michel Neyret, a été extradé vers la France pour son implication dans une affaire de fraude au CO2. Pourtant, à peine trois ans plus tôt, en mai 2016, le procès de « l’arnaque à la taxe carbone », considérée comme l’escroquerie du siècle, s’était tenu avec seulement six prévenus sur douze, les autres suspects étant restés à l’abri dans l’Etat hébreu. « Il y a eu beaucoup de malentendus car les systèmes judiciaires des deux pays sont très différents » explique un haut responsable Français.
En 2012, la non-extradition de deux Français impliqués dans l’accident d’une Israélienne de 25 ans, ayant trouvé la mort à Tel Aviv après avoir été percutée par leurs 4/4 ( affaire Lee Zeitouni), a tendu un peu plus les relations entre les états. « Les autorités faisaient volontairement traîner les procédures » relève le même policier. En 2014, il y avait une centaine de demandes d’extraditions.
Mais progressivement les choses se sont améliorées, souvent du fait des bonnes relations nouées entre enquêteurs des deux pays. « Depuis trois ans, nos services s’entraident en temps réel sur les enquêtes » observe Shimon Mercer-Wood, le porte-parole de l’ambassade d’Israël en France. Il précise : « Nous mettons nos techniques d’investigations au service des enquêteurs français. Ces enquêtes communes contribuent au nombre croissant d’extraditions. ».
Ainsi dans l’affaire de Strasbourg, une délégation de gendarmes a été accueillie et épaulée par la police judiciaire de Kfar Saba.