Parshat « Bo » – L’Eternel dit à Moïse : « Va trouver le pharaon, car j’ai endurci son cœur et le cœur de ses serviteurs, afin d’accomplir mes signes miraculeux au milieu d’eux ».
Moïse et Aaron se rendirent donc chez le pharaon et lui dirent : Voici ce que te dit l’Eternel, le Dieu des Hébreux : « Combien de temps encore refuseras-tu de t’humilier devant moi ? Laisse aller mon peuple pour qu’il me rende un culte ! » … Mais le Seigneur endurcit le cœur de Pharaon, et il ne voulut pas laisser partir les enfants d’Israël.
Le sens de ces versets du 10e chapitre du livre de l’Exode est déconcertante en raison de sa contradiction. Le pharaon ne peut pas recevoir le message qui lui est délivré parce que le même Dieu qui lui demande d’acquiescer altère en même temps son moi intérieur de telle manière que même s’il l’avait voulu, il n’aurait pas pu obéir.
Non seulement cela nie l’autonomie humaine – la liberté humaine – mais cela semble aller à l’encontre de la nature même de Dieu, qui devrait supposément ne vouloir que le bien de l’humanité.
« Nous voyons un problème ici, » a écrit le rabbin italien et bibliste Umberto Cassuto, parce que « …nous ne traitons pas ici de questions philosophiques telles que la relation entre le libre arbitre de l’homme et la prescience de Dieu, […] La Torah ne cherche pas à nous enseigner la philosophie ; pas même ce qu’on appelle la philosophie religieuse. Lorsque la Torah a été écrite, la philosophie grecque n’avait pas encore été pensée ; et la logique grecque était également inexistante. De plus, la Torah ne s’adresse pas aux penseurs mais au peuple tout entier, et elle s’exprime dans un langage compréhensible pour les masses et adapté à la pensée des gens ordinaires. […] A l’époque du Pentateuque, les gens n’étaient pas encore conscients de la contradiction qui s’observe entre la prescience des événements par Dieu et la responsabilité imposée à l’homme pour ses actes. »
En outre, Cassuto nous demande de garder à l’esprit que pour la pensée biblique, il était « habituel d’attribuer chaque phénomène à l’action directe de Dieu« . Chaque événement a un certain nombre de causes, et ces causes, à leur tour, ont d’autres causes, et ainsi de suite à l’infini; selon la conception israélite, la cause de toutes les causes était la volonté de Dieu, le Créateur et le Dirigeant du monde.
En d’autres termes, la polarité entre le durcissement comme décision autonome du Pharaon et comme cause de Dieu n’a jamais été à l’époque biblique, selon Cassuto et d’autres commentateurs, un problème entre le libre arbitre et la prédestination, c’est une sur-interprétation des textes.
Bien que ce qui précède soit largement vrai lorsque l’on considère la question sous certains aspects, l’ensemble du TaNaKh est encore une preuve vivante que l’ancien Israël était parfaitement conscient des questions difficiles de la vie.
La question soulevée par « l’endurcissement du cœur » du pharaon est la suivante : jusqu’à quel point on est responsable de ce qu’on est, et jusqu’à quel point on a la capacité de changer qui on est.
« Les auteurs sacrés », note le commentateur biblique James Plastara, « n’ont pas tenté de répondre à ces questions dans le récit de l’exode ». Leur mérite tient au fait qu’ils ont « clairement délimité le problème ».
Le TaNaKh, est dans une large mesure le résultat cumulé de personnes qui se posent des questions sur l’identité et la survie, questions qui sont universelles.
Ce qui rend le TaNaKh résilient au temps qui passe, c’est que même en reconnaissant l’intemporalité des questions abordées, il y a aussi une parfaite conscience de la transcience de toutes les réponses. Cela a certainement évité le piège idéologique (ou dogmatique) dans lequel ceux qui ne lisent pas les Écritures de manière critique semblent invariablement tomber.
L’un des échecs de l’éducation biblique dans les écoles – religieuses et non religieuses – est de «fabriquer» des réponses là où il n’y en a pas, au lieu d’ouvrir une conversation où c’est exactement ce que le texte demande.