C’était un très vieux monsieur. Il appartenait à la communauté israélite locale. Il vient de mourir, mais pas en France ; c’est en Israël qu’il a vécu ses derniers jours.
J’ignore ce qui l’y avait poussé. Peut-être, comme plusieurs de ses amis qu’il m’est arrivé de rencontrer, le sentiment de ne plus être complètement en sécurité dans notre pays.
Pas un fantasme
Cette inquiétude sourde qui taraude les juifs de France n’a rien d’une invention ou d’un fantasme. Dans un dossier paru le 10 janvier, La Croix rapporte des statistiques récentes : les menaces ou actions à caractère antisémite, chez nous, oui chez nous, ont connu un pic en 2000 : on en avait déploré 744 cette année-là. Depuis, ce chiffre n’est jamais redescendu sous la barre des 300 actes. En 2018, puis à nouveau 2019, ces faits ont même augmenté de plus de 70 %.
Ces données chiffrées, qui expriment une réalité dont nous sommes des témoins directs ou indirects, résonnent de façon particulière ces jours-ci, alors que le monde commémore la libération des camps d’extermination nazis. À hauteur d’homme, ce n’est pas si loin : 75 ans seulement nous séparent de l’événement.
Dix mois pour découvrir l’enfer
Dans son livre « La découverte », éditions du Seuil, l’historienne Annette Wieviorka revient sur la nausée qui prend les alliés à la gorge quand ils découvrent et libèrent ces camps, un par un, de Lublin-Majdanek à Terezin, entre juillet 1944 et mai 1945. Dix mois, dix longs mois de cauchemar et de soulagement pourtant. L’auteur cite Meyer Levin, correspondant de guerre, parmi les premiers à entrer dans cet enfer : « Nous savions. Le monde en avait entendu parler. Mais jusqu’à présent aucun d’entre nous n’avait vu. C’est comme si nous avions enfin pénétré à l’intérieur même des replis de ce cœur maléfique ».
Incrédules devant les sondages
Les chiffres de l’antisémitisme trouvent un écho plus violent encore quand ils viennent se heurter à la méconnaissance que les Français auraient, selon les sondages, de cette période. Je retrouve un blog de l’année dernière. Je réagissais à un sondage publié par l’Ifop, pour le compte de la Fondation Jean-Jaurès. L’enquête révélait qu’un Français sur dix n’avait jamais entendu parler de la Shoah. Et même un Français sur cinq, dans la catégorie des 18-24 ans. L’information nous laissait incrédules.
On se disait que parents ou grands-parents, nous devrions tous nous saisir de ce constat pour qu’au prochain sondage, aucun de nos ados et jeunes adultes ne puisse prétexter l’ignorance.
Un jeune Français sur quatre ne connait pas
Et puis voilà qu’un nouveau sondage paraît dans les journaux. Il s’agit cette fois d’une étude réalisée par Schoen Consulting, à l’occasion justement du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. D’après cette enquête, un Français sur quatre chez les moins de 38 ans dit ne pas avoir entendu de la Shoah. Admettons que le mot leur soit inconnu, mais la réalité historique elle-même, comment imaginer qu’elle puisse leur échapper ?
Les enquêtes d’opinion réalisées à l’étranger ne sont pas plus réconfortantes. Selon un sondage réalisé aux États-Unis, la moitié des jeunes nés en 2000 sont incapables de citer l’un des noms de camps ou de ghettos de l’époque de l’Holocauste.
Ne nous lamentons pas
À la lecture de ces sondages, notre génération a parfois l’impression de bégayer, de se répéter et de ne pas avancer. Plutôt que de se lamenter, une urgence s’impose à nous, adultes, parents et grands-parents qui n’avons pourtant pas connu la Seconde Guerre mondiale mais qui sommes nés dans la décennie suivante. Il nous faut trouver les occasions, trouver les mots pour en parler.
Commençons par nos enfants et petits-enfants. Faisons en sorte qu’eux-mêmes deviennent des relais dans les cours de récréation. Que jamais un gamin n’y soit interpellé par ses copains à raison de sa naissance et de celle de ses parents. Et ce qui vaut pour les enfants juifs vaut évidemment pour les autres origines aussi.
Yves Durand