Pour la première fois, une étude d’opinion permet d’avoir une idée précise de ce que pensent les Israéliens de la situation sécuritaire des juifs de France. Paul Cébille décrypte les résultats de cette étude qui montre que le climat insécuritaire français conduirait à une augmentation des départs vers Israël.
Alors qu’Emmanuel Macron prononcera ce jeudi un discours en Israël sur l’antisémitisme, l’Ifop a réalisé pour i24News et ELNET une enquête auprès des Israéliens portant sur le rapport de ces derniers à la communauté juive de France et à la situation de l’antisémitisme dans le pays. Pour la première fois, une étude d’opinion nous permet d’avoir une idée précise de ce que pensent les Israéliens de la situation sécuritaire des juifs de France et des raisons pour lesquels ils souhaitent majoritairement que ces derniers fassent leur aliyah.
Les Israéliens sont particulièrement inquiets pour la sécurité des juifs en France et sceptiques quant à la capacité des autorités françaises à lutter contre l’antisémitisme
Dans un contexte marqué depuis une demi-douzaine d’années par la multiplication des attentats (tuerie à l’école juive Ozar Hatorah en 2012, Hyper Cacher en 2015…) ou des crimes (meurtre de Sarah Halimi en 2017…) à caractère antisémite envers les Français juifs, les Israéliens se montrent particulièrement inquiets quant à la situation des juifs en France: 60 % d’entre eux estiment que les Français de religion ou de culture juive ne sont pas en sécurité dans l’Hexagone. Un sentiment nourri à la fois par l’augmentation des statistiques officielles des violences envers les juifs en France mais surtout par l’écho qu’ont eu ces différents crimes en Israël où l’actualité de la première communauté juive d’Europe est suivie de près. Ce sentiment d’insécurité est particulièrement élevé chez les Israéliens de nationalité ou d’ascendance française (73 %), sans doute plus au fait de l’actualité de la France.
On notera que les divisions que connaît la société israélienne s’exportent jusqu’en France et révèlent que les citoyens arabes se montrent bien plus sereins, voire indifférents, quant à la situation des juifs en France: seuls 32 % les jugent en insécurité, en opposition frontale avec leurs concitoyens juifs.
Ce pessimiste est d’autant plus fort que les Israéliens expriment une large défiance dans la capacité du gouvernement français à lutter contre l’antisémitisme: les deux tiers des Israéliens interrogés (66 %) estimant inefficace l’action des autorités françaises en matière de lutte contre l’antisémitisme. Sur ce plan, ils sont rejoints par les Français qui sont à peu près autant (60 % en février 2019) à juger également cette action inefficace. Les agressions physiques de juifs en France, relancée en 2006 par la torture et l’assassinat d’Ilan Halimi, marquent les esprits des deux rives de la Méditerranée. Rien d’étonnant alors à ce que les Israéliens de nationalité ou d’ascendance française soient là encore plus nombreux que la moyenne (74 %) à trouver inefficace l’action du gouvernement français en matière d’antisémitisme. Leur départ de France s’est sans doute nourri d’un certain scepticisme en la matière.
Ce scepticisme quant à la capacité des autorités françaises à lutter contre l’antisémitisme va de pair avec une vision bien tranchée du profil des auteurs de ces agressions. En effet, aux yeux des Israéliens, la responsabilité de ces actes antisémites relève plus des personnes de culture ou de religion musulmane (77 %) que des Français aux idées d’extrême droite (61 %) ou d’extrême-gauche (45 %): les Français de culture chrétienne n’étant coupables que pour une très faible minorité de l’opinion israélienne (22 %). À noter toutefois que si pour les Israéliens juifs, les responsables sont avant tout des musulmans (92 %), les Israéliens arabes ont une grille d’analyse bien différente: pour eux, les agressions de la part de personnes de religion musulmane s’effacent (15 %) pour laisser place aux agresseurs d’extrême-droite (50 %). L’intérêt de l’enquête est de montrer le fossé d’opinion entre Israéliens et Français sur cette question de l’identité des agresseurs, les Français se montrent beaucoup plus mesurés que les Israéliens et ont du mal à préciser le profil des agresseurs: 23 % jugent que ce sont des personnes de culture et de religion musulmane contre 28 % des agresseurs d’extrême droite. Les autres peinent à se décider (26 %) ou ne savent pas répondre (23 %).
Face au péril pour leur sécurité, l’opinion israélienne appelle à l’alyah des juifs de France et a une meilleure intégration de la communauté française vivant en Israël
Si le sujet est devenu sensible entre les deux pays depuis que Benjamin Netanyahou a appelé en 2015 les juifs de France à immigrer en Israël, l’opinion israélienne ne masque pas son soutien à une «alyah» massive des Français de confession juive.
La doctrine d’accueil des juifs de la diaspora au sein d’un État juif où ils seraient en sécurité n’est par ailleurs pas nouvelle, elle poursuit l’idéologie sioniste détaillée par la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël de 1948 et sa traduction législative en 1950 avec la loi du Retour (qui indique que «Tout Juif a le droit d’immigrer en Israël»). 52 % des Israéliens interrogés semblent adhérer à cette doctrine et souhaitent que les juifs de France viennent s’installer en Israël, contre à peine 14 % préférant qu’ils restent en France. Sur ce point, l’opinion israélienne s’oppose à nouveau frontalement à l’opinion des Français qui, au contraire, manifestent leur souhait de voir les juifs de France demeurer en France (à 57 %) (il faudrait qu’ils se bougent pour ça!!!).
Si la perception de l’opinion israélienne sur la situation sécuritaire des Juifs de France n’est sans doute pas étrangère à son soutien à leur immigration en Israël, ce dernier tient aussi probablement au fait que les Français juifs bénéficient dans ce pays d’une image particulièrement positive, et ceci qu’il s’agisse de ceux qui vivent en France (90 %), de ceux qui viennent passer leurs vacances en Israël (88 %) ou de ceux qui y ont déjà fait leur alyah (88 %).
Sur le plan politique, les Israéliens sont divisés sur l’opportunité pour les juifs de France de «revenir» en Israël, et à quelques semaines des prochaines élections législatives anticipées le regard sur la diaspora à son importance. Au sein de la droite nationale, portée par le Likoud, 71 % des sympathisants s’y déclarent favorable, tout comme 74 % des sympathisants des partis de la droite religieuse (alliés politiques de Benjamin Netanyahou). À l’inverse les partis ultraorthodoxes, plus critiques sur le projet sioniste d’Israël, se montrent très partagés (52 % favorables) sur l’arrivée de nouveaux juifs dont les préoccupations s’éloignent des leurs. Les sympathisants des partis arabes s’opposent eux largement à un tel projet. Preuve que les appels du Premier ministre israélien ont su obtenir une oreille attentive, jusqu’en France, on constate que 40 % des Israéliens ayant un lien avec la nationalité française déclarent se sentir proches du Likoud contre 21 % dans l’ensemble de la population interrogée.
Paul Cébille est chargé d’études à l’Ifop, il a notamment travaillé sur plusieurs études traitant du rapport des Français à la démocratie directe.