Hocine Drouiche, l’imam réformiste contre les islamistes

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Entre deux pérégrinations à Lunel, j’ai découvert l’imam d’une petite mosquée nîmoise courageusement engagé contre « l’islam conflictuel » des Frères musulmans, Tablighis et autres salafistes.  Et pour ne rien arranger, l’homme refuse également les prébendes de l’islam consulaire. Rencontre avec Hocine Drouiche.

Au centre-ville de Nîmes, il faut y regarder à deux fois avant de trouver l’entrée discrète de la mosquée La Fraternité humaine. Une simple feuille de papier collée contre la fenêtre indique les horaires des cours d’arabe. Pas de doute, je suis sur la bonne piste. Un vieux chibani m’ouvre la porte de la salle de prière, qu’aucun minaret ni arabesque ne distingue extérieurement des immeubles voisins, et me confirme de l’arrivée imminente de l’imam. En ville, Hocine Drouiche, la quarantaine, porte un costume-cravate qu’il recouvre d’un qamis lorsqu’il dirige la prière. Parmi les dizaines d’adeptes qui se prosternent face à l’imam niché dans son minbar, quelques jeunes font baisser la moyenne d’âge plutôt élevée. La première génération d’immigrés, au français souvent approximatif, y pratique un islam traditionnel, étranger à la politique. Un vieillard d’origine algérienne me fait sourire en tentant de m’édifier : à l’en croire, seuls les musulmans iront au paradis. L’auguste septuagénaire ignore sans doute la chanson de Polnareff et le film d’Yves Robert.

Un conflit entre l’islam et la République

Chez Hocine Drouiche, on ne trouve aucune trace de cet argumentaire enfantin qui échange piété contre rétribution divine. Né en Algérie, ce docteur en théologie musulmane a gagné ses galons de réformateur sur le terrain. Au point de connaître Damas comme sa poche. Depuis vingt ans, l’homme a écumé toutes les grandes mosquées de la région avant de s’être fixé à Nîmes. En signe d’œcuménisme, assumant la rupture avec son prédécesseur Frère musulman notoire réputé polygame, fraudeur de la CAF, harceleur sexuel aujourd’hui imam à Montpellier, il a accolé l’épithète « humaine » au nom de la mosquée. Les présentations faites, Drouiche va droit au but : « Il y a un conflit entre l’islam et la République. Théologiquement, l’islam lui-même, le Coran et les hadiths nous mettent en conflit direct avec la modernité, notre époque et la société. Est-ce qu’on peut-encore accepter les interprétations du Moyen Âge ? » Diantre, le CCIF crierait à l’islamophobie pour moins que ça…

Ce constat posé, tout reste à faire. Prenons l’exemple du voile. Il ne suffit pas de vouloir remodeler l’interprétation des textes à sa guise. Dans une religion dépourvue de clergé et d’autorité centrale, à l’instar du judaïsme, l’exégèse doit certes épouser son temps. Mais surtout obtenir l’assentiment de la majorité des ouailles. Ce qui n’est pas gagné.

Gagner les cœurs et les reins

Au risque de passer pour un apostat, voire un hérétique à la Hallaj, mieux vaut gagner les cœurs et les reins avant de prendre la tradition à rebrousse-poil. C’est bien l’ennui. « Les islamistes dominent mosquées et associations depuis 1980. Il faut du courage pour casser les tabous. Tariq Ramadan, l’UOIF et les Frères musulmans ont inculqué à des générations le conflit et la haine de l’Autre. C’est le modèle du musulman européen » diagnostique Drouiche qui se réclame de la « majorité silencieuse ». Dans son combat culturel, l’imam dénonce l’instrumentalisation politique de la religion telle qu’elle s’exprime dans les  manifestations contre l’islamophobie. Le 10 novembre. « des insultes ont été lancées contre des musulmans qui ont une vision plus humaine de l’islam » par des imprécateurs en quête de brebis galeuses à apostasier. Zineb El Rhazoui, Kamel Daoud, Zohra Bitan et autres « collabeurs » accusés de propager la haine contre leur supposée communauté en savent quelque chose. « On subit la censure. Si vous parlez, des armées virtuelles vous attaquent ou des gens viennent semer la zizanie à la mosquée », s’afflige Drouiche.

« Vendu, collabo, traître, sioniste, pro-juif et pro-français »

Sans craindre l’amalgame, il désigne clairement l’ennemi« Ils sont dans la thématique du djihad : Daech fait le djihad armé, eux le djihad électronique, judiciaire, dans une logique d’affrontement et de conflit… On va mettre tous les Français qui critiquent l’islam devant les tribunaux ? » Cinq ans après, certains contempteurs de Charlie en rêvent. Après tout, l’aboutissement logique d’une société multiculturelle est peut-être d’interdire le « blasphème », histoire de ne heurter personne… Inquiet, l’imam balaye devant sa porte plutôt que d’accuser les critiques de l’islam d’attiser les tensions, sinon d’exciter les pulsions meurtrières de quelques frapadingues, comme le terroriste de Bayonne. « La relation entre les musulmans et la majorité sociale ne cesse de se dégrader. L’avenir de nos enfants et la paix sociale sont en danger. Les Arabes se font insulter dans la rue, la haine contre les musulmans ne cesse d’augmenter… »

Son « islam réconciliateur » l’isole-t-il de la communauté des croyants musulmans ? C’est la conviction d’un de ses amis libre penseur, militant laïque de la région, qui admire son courage tout en s’interrogeant : « Qu’est-ce qui le pousse à m’aider et à prendre de tels risques ? » Traité « de vendu, de collabo, de traître, de sioniste, de pro-juif et de pro-français » (rayer la mention inutile), Hocine Drouiche s’est souvent senti esseulé. Quelques jours après l’attentat de l’Hyper cacher, ils n’étaient que trois ou quatre imams à se rendre sur les lieux du massacre commis par Amady Coulibaly pour dénoncer l’antisémitisme islamiste. A Nice, après le drame de la promenade des Anglais, il s’est recueilli seul« En juillet 2017, j’ai co-organisé la marche musulmane contre le terrorisme avec Chalghoumi et soixante imams. On a marché jusqu’à Berlin. A Paris, le CFMC nous a traités de charlatans, de faux imams. Non seulement ils ne font rien mais ils combattent les rationalistes qui ouvrent une porte de dialogue ! » Vice-président de la Conférence des imams, instance très minoritaire à laquelle appartient l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi,  « Bien sûr que je suis minoritaire dans la représentation. Mais je reçois presque 500 personnes par jour dans ma mosquée. »

Le CFCM, combien de divisions ?

Jusqu’à ces derniers jours, Drouiche briguait la présidence de la Grande mosquée de Paris. Patatras, entre-temps, l’inamovible Bouteflika, pardon Boubaker, a laissé la place à son dauphin, en cours à Alger. En vain, Drouiche demandait « le soutien de Macron », conscient que ce genre de tractation « se passe entre la présidence française et la présidence algérienne ».

Voilà un cheval de bataille supplémentaire pour cet homme qui n’en manque pas. L’islam consulaire est une rustine posée sur la plaie du sécessionisme islamiste. Certes, Turquie mise à part, les ambassades n’ont plus prise sur les deuxième, troisième et quatrième générations de musulmans. Mais Alger, Rabat, Ankara voire Riyad ou Doha ont placé leurs pions au sein de l’islam de France. Si bien que « presque tous les imams républicains sont exclus des aumôneries ou de leurs mosquées par le Conseil français du culte musulman (CFCM). La République a installé un élément qui travaille contre la République ! ». Contre ce mercenariat islamique, Drouiche sort les chiffres qui fâchent : d’après l’Institut Montaigne, seuls 9% des musulmans français déclarent se reconnaître dans le CFCM! Peut-être parce que 90% des imams de France restent dépourvus de toute diplôme en théologie…

Non au complotisme

Dernière mise au point, l’imam considère que disculper les musulmans de leurs responsabilités dans la montée de l’islamisme et du djihadisme ne les aide pas. Pire, l’essor des théories du complot (qui s’orientent inexorablement vers qui-vous-savez…) permet aux plus radicaux de « manipuler la foule des musulmans » en la faisant « vivre dans la victimisation ».  Hélas, « ça marche parce que les gens ne veulent pas se libérer ». Souhaitons que l’amour de la liberté conquière les mosquées de France et de Navarre.

Daoud Boughezala

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