Dans un épisode de « South Park », le personnage de Kyle qui vit dans une famille juive chante « Comme c’est dur d’être juif à Noël ». Il a bien le seum et ce n’est pas le seul.
Les boules. Quand on ne fête pas Noël, il y a de quoi avoir un peu les boules. Je suis juive pratiquante disons de niveau intermédiaire, c’est-à-dire que je mange strictement casher, et que je respecte autant que possible le Shabat et les fêtes principales du calendrier hébraïque. Et, à la période de Noël, chaque fois que je passe devant le sapin décoré dans la cour de mon immeuble, ou devant les bûches au chocolat dans la vitrine de ma boulangerie, ou chaque fois qu’il y a des repas spéciaux organisés entre mes collègues, eh bien, j’ai du mal à me l’avouer, mais j’ai un peu les boules. Surtout pour les bûches.
Les lamentations de Kyle de South Park
Alors, j’ai été assez rassurée de voir que je n’étais pas la seule à avoir ce sentiment diffus et culpabilisant (serais-je de « mauvaise foi » ?) : dans l’épisode 9 de la saison 1 du dessin animé South Park, le personnage de Kyle Broflovski qui est juif, chapka verte et anorak orange, chante « Comme c’est dur d’être juif à Noël ».
Kyle se lamente : « Comme c’est dur d’être juif à Noël/D’être un enfant du peuple d’Abraham/Je peux pas chanter de cantiques ou décorer un beau sapin/Parce que je suis pas comme les autres, c’est ce que disent tous mes copains/Mon peuple ne croit pas que Jésus Christ soit le messie/Je suis juif et je me sens seul à Noël./Hanouka, c’est bien oui, mais pourquoi/Le père Noël ne vient jamais chez moi ?/Pourquoi au lieu de jambon, je dois manger de la carpe farcie ?/Au lieu de Douce Nuit, je dois chanter des trucs en yiddish ?/Et c’est quoi ce délire à la *** avec ces *** de bougies ?/Je suis juif et je me sens seul/Je suis pas joyeux, je suis hébreu à Noël. »
« On se sent comme exclu »
La fête de Noël qui célèbre la naissance de Jésus de Nazareth, qui était juif, n’est en effet, « pas dans la religion juive, c’est une fête religieuse pour les chrétiens. Quand on est pratiquant, on ne fait pas les rites des autres religions, chacun son originalité », confirme Alain Cohen, rabbin de la communauté de Courbevoie et professeur de pensée juive à l’école Maïmonide de Boulogne-Billancourt. Alors, forcément, quand on est juif pratiquant, et comme le dit la philosophe et écrivaine Eliette Abécassis, auteure notamment de L’Âme juive (Ed. Gründ), « on voit que la ville s’agite, mais on se sent à part, en-dehors, comme exclu. On n’est pas concerné. Ça fout le cafard. »
Hanouka, la possibilité d’une huile
Hanouka, parlons-en. Cela s’écrit indifféremment Hanoukka, Hanouccah, Hanukah ou Hanoukah. A la même période que Noël, il y a donc pour les juifs, la fête de Hanouka qui n’a cependant rien à voir avec l’histoire de Jésus, puisqu’elle commémore un événement antérieur à sa naissance. Dans le calendrier hébraïque qui est à la fois solaire et lunaire, Hanouka tombe le 25 du mois de Kislev, grosso modo au début, au milieu ou à la fin du mois de décembre. C’est une coïncidence heureuse, ça rattrape le coup.
« Hanouka est une fête qui dure huit jours à partir du 25 Kislev et commémore la victoire des Maccabées [une famille juive, NDLR] sur les Séleucides [une dynastie hellénistique en Syrie, NDLR] qui entendaient détruire la religion juive et helléniser la totalité de leur royaume […] entre 165 et 163 avant l’ère chrétienne. Pour parvenir à leurs fins, les Grecs profanèrent le temple de Jérusalem. […] Après trois ans de combats, les Maccabées sous la direction de Judah Maccabée, reconquirent Jérusalem, démolirent l’autel du temple profané et en édifièrent un nouveau. Ils fabriquèrent également un chandelier. […] Selon la tradition talmudique, […] on découvrit un flacon d’huile sainte servant à alimenter le chandelier. Bien qu’elle ne fût suffisante que pour une seule journée, cette huile brûla pendant huit jours. C’est pourquoi on institua une fête de huit jours destinée à commémorer ce miracle », rapporte très précisément le Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme (Ed. Cerf/Robert Laffont).
« Hanouka est joyeux pour les juifs, et Noël est joyeux pour les chrétiens »
Concrètement, pendant Hanouka qui dure huit jours, cette année du dimanche 22 décembre au soir au lundi 30 décembre, j’allume une nouvelle bougie ou une mèche posée sur un godet d’huile, chaque soir sur un chandelier à neuf branches (une hanoukia), je dis une prière, je mange des mets à l’huile comme des beignets (ça vaut pas les bûches, mais bon…), et mon petit studio tout illuminé la nuit de cette lumière jaune chaude et réconfortante ressemble à Versailles, et ça c’est chouette. En résumé, Hanouka, c’est l’huile de la tentation. Et comme j’en suis au paragraphe où je déclare malgré tout, sincèrement ma flamme à cette fête, j’ajouterai qu’à la place de All I want for Christmas, j’ai plus souvent en tête la chanson I huile survive…
« Hanouka est joyeux pour les juifs, et Noël est joyeux pour les chrétiens. Quand on est pratiquant, on n’a pas le seum si on pratique sa religion pleinement », apaise le rabbin Alain Cohen. « Hanouka, c’est la fête des lumières, de la connaissance métaphoriquement aussi, et c’est la plus longue fête de l’année juive. C’est une fête rabbinique qui n’est pas inscrite dans la Torah, mais on note que le 25e mot de la Torah, c’est « or », « lumière » en hébreu, comme en écho à la date du 25 Kislev et à cette fête des lumières », ajoute-t-il avec malice et érudition.
« Attendre que ça passe »
Pour la romancière Eliette Abécassis, plus dubitative, « Hanouka n’est pas au même niveau que Noël. On essaie de faire de Hanouka une grande fête pour compenser le blues de Noël. On s’offre des cadeaux ou on offre des cadeaux aux enfants pendant les huit jours pour imiter Noël. »
Pour compenser ce seum dont parle Kyle de South Park et que d’autres juifs partagent à Noël, Eliette Abécassis avoue qu’elle a déjà « accepté des invitations à fêter Noël chez des amis, pour participer, pour être intégrée, pour en être, mais [elle] n’avait pas les codes et n’était pas à l’aise. Autant rester chez soi, aller au cinéma, et juste attendre que ça passe. »
« On peut se consoler en se disant que finalement à Noël, les Chrétiens célèbrent un juif », ironise Alain Granat. En spécialiste de la musique, il a noté par ailleurs, que « beaucoup de standards américains des chansons de Noël ont été écrits par des compositeurs juifs. C’est le cas, par exemple de White Christmas, une chanson écrite en 1942 par Irving Berlin, de son vrai nom Israel Isidore Baline et fils de rabbin. Comme en compensation ou en rébellion, ils se sont approprié la fête de Noël, ils se sont investis dans cette fête pour s’intégrer. » Des Kyle Broflovski avant l’heure.
Christmas + Hanouka = Chrismukka
Et pour réconcilier tout le monde, il y a sinon, la possibilité de célébrer Chrismukkah, une fête hybride fusion entre Noël (Christmas) et Hanouka, comme le personnage de Seth Cohen né d’un père juif et d’une mère protestante, dans la série télévisée américaine Newport Beach. L’idée n’étant pas bien sûr de mettre le feu au sapin.