Les séries israéliennes, championnes du monde du rapport qualité-prix

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La troisième saison, très attendue, de « Fauda » sort ce jeudi en Israël. Comme tant d’autres, elle confirme le savoir-faire israélien en matière de séries TV malgré des budgets très bas. Face aux incertitudes économiques, le système D règne en maître sur les plateaux israéliens.


« Quand vous rencontrez des gens avec leur ordinateur portable dans les cafés de Tel Aviv, ils sont tous en train d’écrire une série, je vous assure ! ». Maya Fischer, productrice chez Green, exagère à peine. Dans la grande métropole branchée et cosmopolite au bord de la Méditerranée, les séries sont comme les start-ups.

C’est un secteur en vogue, avec 120 sociétés de production et 200 heures de fictions TV produites chaque année. C’est aussi un secteur très concurrentiel : le marché publicitaire a baissé de 13 % entre 2004 et 2016, alors que le PIB a augmenté de près de 80 % sur la même période. « Nous avons un esprit créatif dans tous les domaines, une incroyable force artistique, des histoires très intéressantes, mais entre les gens qui écrivent et ceux qui sont retenus, il y a un écart. C’est un combat de travailler ici, d’écrire, de réaliser et de produire », insiste-t-elle.

Le modèle économique des séries israéliennes est effectivement fragile, avec un marché local très restreint. « On croit être une superpuissance mais nous ne sommes que neuf millions. On perd de l’argent sur le marché intérieur », explique le producteur Uri Shenar, ancien PDG du géant Keshet, propriétaire la chaîne israélienne la plus regardée. Pourtant, pour Maya Fischer, ce pourrait être pire : « S’il n’y avait pas les câblo-opérateurs israéliens comme Hot ou Yes, toute l’industrie audiovisuelle serait mal en point. »

Les deux groupes ont l’obligation légale de réinvestir 8 % de leur chiffre d’affaires dans des productions locales, mais vont souvent au-delà, à 9,5-10 %. Cela tombe bien dans ce pays où les deux fonds nationaux pour l’audiovisuel ne financent que le cinéma.

Voilà pourquoi les Israéliens doivent exporter leurs séries à l’étranger s’ils veulent s’en sortir. Et ils s’en sortent bien : Israël est le premier exportateur de fictions aux États-Unis devant la Grande-Bretagne. Hatufim (prisonniers de guerre) a même été classée meilleure série de la décennie par le New York Times et Fauda (le chaos) huitième sur trente, sans oublier une mention honorable pour Shtisel et Our Boys« L’hébreu reste une langue difficile à exporter, mais, désormais, on a beaucoup de coproductions et de remakes« , raconte Maya Fischer. Ainsi Homeland n’est autre que la version américaine de Hatufim, dont la transposition indienne a bénéficié du plus gros budget jamais consacré à une série en Inde.

Comment expliquer cette réussite ? « Notre modèle est ‘low cost/high quality‘ », explique Uri Shinar qui insiste sur le système D à l’œuvre sur les tournages israéliens : « On a une mentalité de flibustiers. Nous sommes multitâches avec un grand sens de l’improvisation. Comme dans une start-up, nous avons peu de gens mais qui font tous beaucoup de choses pour surmonter les obstacles. C’est toute l’histoire de l’improvisation technologique en Israël.« 

Malgré des syndicats puissants, très vigilants sur le respect des salaires minimum, les budgets israéliens semblent minuscules par rapport à ceux qui se pratiquent en Europe ou aux États-Unis. « Le producteur américain de Lost s’est rendu sur le tournage de notre série Bastards, raconte la scénariste et réalisatrice israélienne Daphné LevinIl nous a dit que notre budget pour un épisode équivalait au budget déjeuner pour leur équipe ! » C’est sans doute une boutade, mais les chiffres sont éloquents.

« J’ai honte de dire combien mon ami Lior Haz, créateur de Fauda, gagnait au début. Maintenant, il est à Los Angeles et il a signé des contrats… Récemment, j’étais à L.A., et les gens n’en croyaient pas leurs yeux. Ils avaient vu tellement de séries israéliennes comme Fauda, Schtizel ou In Treatment et, surtout, ils n’arrivaient pas à croire combien cela avait coûté. C’était 25 % moins cher que les standards américains et 50 % que les meilleures séries européennes« , se souvient Uri Shinar.

Selon nos informations, chaque épisode de When Heroes Fly (sacrée meilleure série au festival Canneseries en 2018), tourné en partie en Colombie, a coûté en moyenne 220 000 dollars, ce qui laisse pantois les spécialistes du secteur.

Même Uri Shinar, passé goulûment de la télé de papa aux contenus délinéarisés, a du mal à entrevoir l’avenir : « Comme partout dans le monde, le marché turbule et personne ne peut prédire où l’on va. C’est partout comme ça mais ici, c’est extrême, car nous avons un petit marché. Cette année, Netflix avait un budget de production de 14,7 milliards de dollars, c’est insensé ! Et au total, il y avait dans le monde 50 milliards consacrés aux nouveaux contenus ! »

Pas d’argent mais des idées

Selon Maya Fischer, la réglementation israélienne du secteur n’est pas adaptée à la concurrence mondiale et au développement exponentiel des plateformes : « On doit changer des choses, mais le gouvernement israélien est très lent en la matière. Par exemple, les plateformes israéliennes comme Cellcom TV ou Partners devraient être obligées d’investir dans des productions israéliennes. Également, une partie des recettes des abonnements à Netflix, Amazon ou autres en Israël devraient être réinvesties dans des productions locales. Sinon ça rend les choses impossibles pour les créateurs. »

Alors en attendant, comme souvent en Israël, certains transforment la contrainte en force. « Quand j’ai trop d’argent, je ne me sens pas bien », affirme Hagai Lévi, créateur de Our Boys, qui préfère rester en Israël que d’aller travailler aux États-Unis, même si son œuvre a été diffusée sur HBO. « Plus que l’argent, c’est mon indépendance qui compte. Plus il y a d’argent, moins il y a de liberté. » Et Daphné Levin de conclure : « On n’a pas beaucoup d’argent donc on pense« .

Source franceinter