« Les gens ont peur. » La candidate travailliste Holy Kal Weiss résume ainsi l’état d’esprit des électeurs de confession juive qu’elle rencontre en menant sa campagne dans la « Bagel belt » du nord de Londres.
Corbyn-Led UK Labour Party #1 on Simon Wiesenthal Center 2019 Top Ten Anti- Semitic List. Read: Daily Mail & The Mail on Sunday https://t.co/ixFpZia39b
— SimonWiesenthalCntr (@simonwiesenthal) December 7, 2019
Dans ce quartier ainsi surnommé en raison de son importante communauté juive, cette crainte « s’entend dans la voix » des gens, explique-t-elle à l’AFP en faisant du porte-à-porte. Pour cette candidate travailliste de confession juive aux législatives de jeudi, la fracture entre le parti qu’elle représente et sa communauté constitue une véritable douleur.
Les accusations contre Jeremy Corbyn, qui se voit reprocher d’avoir laissé prospérer l’antisémitisme au sein du Labour, pourraient bien peser sur l’issue du scrutin. Le Brexit et les conséquences de l’austérité sont bien sûr au cœur des débats, mais la question de savoir si le parti et son leader ont un problème avec les Juifs est revenue de manière récurrente.
Le mois dernier, le grand rabbin britannique Ephraim Mirvis s’est fendu d’une intervention sans précédent, pour dénoncer le « nouveau poison – approuvé par la direction », qui « s’est enraciné au sein du parti travailliste ». « L’âme de notre nation est en jeu », ajoutait-il, appelant les électeurs à voter « en conscience ».
Théories du complot
Le mouvement juif travailliste (JLM), l’un des plus anciens affilié au parti, a accusé Jeremy Corbyn lui-même d’antisémitisme. Plus de 70 membres du Labour ont étayé les accusations au sein du parti devant une commission dédiée. L’un d’eux a recensé 22 exemples de propos lors de réunions du parti, rapportant notamment qu’on lui a dit « Hitler avait raison« .
Jeremy Corbyn et le parti s’enorgueillissent de leur histoire de lutte contre le racisme, qu’ils pensent être un fléau réservé à la droite. Le leader travailliste a répété tant et plus qu’il « exècre » l’antisémitisme. Ses partisans dénoncent des accusations visant à contrecarrer son opposition aux actions d’Israël contre les Palestiniens. Mais ses propos sont antisémites…..
Selon David Hirsch, expert de la question, il existe au sein du mouvement socialiste une « longue histoire d’antisémitisme authentiquement de gauche ». « Jeremy Corbyn, si vous lui dites ‘parlez-moi de l’histoire de l’antisémitisme au sein de votre mouvement‘, il ne la connaît probablement pas », a-t-il affirmé.
Pour Holy Kal-Weiss, le Labour a « sous-estimé » le sentiment de peur qui a été intégré au sein de la communauté. « Jusqu’à récemment, il y aurait eu plein d’électeurs du Labour ici. Mais il y a beaucoup d’angoisse« , dit-elle en remontant dans sa voiture une froide soirée de décembre. Beaucoup de colère aussi, dirigée contre elle. « Ce n’est pas agréable. J’ai été élevée au sein de la communauté juive dans l’idée que c’est très important de prendre soin de tout le monde« , ajoute-t-elle.
« Résilience »
Dans une circonscription située à quelques kilomètres de là, au nord-ouest de Londres, le conservateur Mike Freer est à la tâche pour sauver son siège. Sa principale concurrente est l’ancienne députée travailliste Luciana Berger, qui a quitté le parti à cause de l’antisémitisme pour rejoindre les libéraux-démocrates. « Quand vous parlez à des gens de 80 ou 90 ans, ils étaient terrifiés. Les mots qui revenaient étaient ‘ c’est comme ça que ça a commencé en Allemagne‘ « , dit-elle.
Sur le pas de sa porte, Brian Lacey, un électeur de 83 ans, s’adresse au candidat Freer: « J’anime un groupe d’art, qui compte beaucoup de Juifs, beaucoup d’entre eux sont bouleversés. Je vois l’histoire se répéter. C’est peut-être exagéré, mais toutes ces petites créatures maléfiques créent un mouvement ». Mais pour ceux qui veulent s’opposer au Brexit, choisir leur candidat est particulièrement difficile, dans la mesure où le Labour représente la seule chance réaliste de l’arrêter.
« Franchement, sur le long terme, je ne sais pas qui de Corbyn ou Johnson serait le pire« , a déclaré un habitant qui s’est défini comme juif laïc, préférant rester anonyme. La perspective d’une sortie de l’Union européenne représente à ses yeux une menace pire que celle d’un gouvernement travailliste. « Nous avons le sens de l’histoire et de comment de petites choses ont grossi », déclare le retraité. « Je n’ai pas de genre de crainte, je pense qu’il y a plus de résilience dans ce pays. Mais cette crainte, certains l’ont. »