À 96 ans, Frederick Terna «ne veut pas être la conscience du monde». Aux États-Unis depuis 1952, ce rescapé des camps de concentration se dit «sans haine», et préfère ne pas porter de jugement sur la première visite d’Angela Merkel à Auschwitz vendredi.
Mais ce peintre prolifique, qui continue à manier le pinceau dans sa maison de Brooklyn, se dit «très, très inquiet» du retour de l’antisémitisme et des «nationalismes étroits», qui lui rappellent les années 30, lorsqu’il était enfant et adolescent, à Prague.
«L’antisémitisme est un problème avec lequel le monde doit vivre, j’y suis habitué, ça fait partie de mon fonctionnement», confiait cette semaine à l’AFP cet homme qui a perdu toute sa famille dans les camps. «Auschwitz n’a pas disparu, une partie de moi est toujours à Auschwitz».
M. Terna — un nom d’emprunt choisi par son père pour obtenir de faux papiers, et qu’il a gardé après-guerre — y est arrivé relativement tard, à l’automne 1944, après avoir été d’abord interné au camp de Terezin, proche de Prague.
Il en repart assez vite, expédié, avec des milliers d’hommes jugés valides, au camp de travail de Kaufering, près de Dachau, en Bavière : les Allemands y construisaient des usines souterraines, avec l’intention d’y fabriquer des avions de combat à l’abri des bombardements alliés. C’est dans cette région qu’il sera libéré, à l’arrivée des forces américaines, en avril 1945.
Rapatrié à Prague, très affaibli, il n’y restera pas : lorsqu’il sonne à la porte de son ancien appartement, il se fait insulter et chasser par le nouvel occupant, un dignitaire communiste, qui lui dit : «Tu dois être une sacrée fripouille pour avoir survécu».
Après quelque temps en France, M. Terna part avec sa première femme, aujourd’hui décédée — un amour de jeunesse qu’il avait retrouvée à la Libération, qui avait elle aussi survécu aux camps — pour les États-Unis. «J’avais dans l’idée de m’éloigner au maximum de l’Europe», dit-il.
Face à la recrudescence d’attaques contre les juifs, en Europe et aux États-Unis, cet homme à l’esprit toujours vif, qui grimpe sans hésiter les 35 marches de sa maison, sait qu’il fait désormais partie des rares survivants «qui restent pour montrer du doigt ceux qui sont antisémites, qui essaient de rejeter sur nous, nous les juifs, les maux du monde».
Il estime pourtant avoir, avec les autres rescapés qui ont témoigné fréquemment dans les écoles, tenu la promesse faite à ses compagnons d’infortune de raconter les camps s’ils s’en sortaient vivants.
«Vous pouvez aller partout, d’ici jusqu’en Tasmanie ou en Nouvelle-Zélande, il n’y a pas une école supérieure qui n’ait son cours sur la Shoah, donc d’une certaine façon, nous avons réussi», dit-il. «Mais un des effets secondaires est que l’antisémitisme est toujours là».
«Signaux d’alerte»
Aujourd’hui, Frederick Terna cherche ses mots en tchèque : alors qu’il parle encore couramment l’allemand, son autre langue maternelle, il n’a plus «aucun lien émotionnel» avec Prague et se sent «très américanisé». Quand il évoque la montée des nationalismes dans le monde, c’est à la Hongrie qu’il pense en premier. Et quand Donald Trump a remporté la présidentielle américaine, en novembre 2016, c’est le Prague des années 30 qui lui est revenu en mémoire.
Entre 1933 et 1938, il a vu passer, dans la chambre d’ami du domicile familial, les premières victimes du nazisme: des connaissances de son père, qui arrivaient souvent blessées après avoir subi des sévices en Allemagne.