Pour avoir hébergé deux familles juives durant la dernière guerre, Prospérine et Albert Blottière ont reçu, à titre posthume, la médaille des Justes parmi les Nations.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Albert et Prospérine Blottière , agriculteurs et parents de onze enfants, vivaient à Grand-Camp, près de Broglie dans l’Eure. Au mépris du danger, le couple a caché, recueilli et protégé deux familles juives.
Le 5 novembre 2019, l’Institut international pour la mémoire de la Shoah Yad Vashem de Jérusalem, a officiellement décerné le titre de « Juste parmi les nations » à Prospérine et Albert Blottière, un honneur réservé aux personnes non-juives, qui ont sauvé des Juifs sous l’occupation nazie.
« Reçus comme notre famille »
L’histoire se déroule quelques mois avant la Libération. Les Blottière exploitaient deux fermes dont une, tout près du château de Mervilly à La Vespière, près d’Orbec. Or, début 1944, le quinquagénaire surveille son bétail quand il est interpellé par une femme qui lui demande son aide pour elle et sa famille. Albert Blottière la connaît bien : Malka, Irène, Berthe, Maurice et Jeanne Lupu, ainsi que Paul, Paulette, Jacques et Simone David vivaient depuis octobre 1942 dans le voisinage. Les six enfants et les trois adultes du foyer ont fui Paris pour se réfugier en Normandie. Seul M. Lupu est resté dans la capitale pour subvenir aux besoins de ses proches. Il n’en reviendra jamais, victime de la déportation.
Albert Blottière n’avait aucune idée du secret qui pesait sur la famille, cachée de l’occupant. De confession juive, ils vivaient dans la crainte à 200 mètres du château de Mervilly où les troupes allemandes manœuvraient régulièrement. Sans ressources, les David et Lupu craignaient une dénonciation. « Nous les avons reçus comme notre famille, sans arrière-pensées « , témoignait en 2005 Georges Blottière, fils d’Albert et Prospérine Blottière.
Ce dernier a vécu plus particulièrement les événements, aux côtés de ses sœurs Suzanne et Georgette. L’octogénaire décédé il y a quelques mois avait révélé à l’Éveil normand les détails de cet épisode alors méconnu dans la région.
La famille restera à la ferme du Plessis jusqu’en 1947 tandis que les David sont rentrés dès l’automne 1944. En 1946, le Grand Rabbin de Paris Julien Weil témoignera en faveur des Blottière, accusés à tort de collaboration : « Quoiqu’eux-mêmes ayant de nombreux enfants, les Blottière ont nourri, soigné leurs protégés, d’une façon absolument désintéressée. [Ils avaient] une charité et une délicatesse de sentiment au-dessus de tout éloge. »
Profondément croyants, Albert et Prospérine ont également aidé près de 17 réfugiés : des communistes, des réfractaires au service du travail obligatoire, des Résistants… Le couple ne s’est jamais prévalu de quoi que ce soit et a préféré taire cette histoire, par modestie. Nombre de membres de la famille Blottière ont tenu à préserver cette discrétion.
« Pour ne rien oublier »
« C’est en découvrant un certain nombre de documents conservés dans une valise que j’ai décidé de faire reconnaître l’action de mes aïeux. C’est une action pour leur mémoire, de façon à ne jamais oublier et transmettre l’Histoire aux générations futures. Mes grands-parents, très croyants, ont toujours eu un esprit altruiste, et n’ont jamais fait de choses pour en tirer le moindre honneur. Pourtant, ils ont été récompensés de la médaille d’ancien combattant de la Grande Guerre, et aussi de la médaille de la Famille française, après avoir élevé leurs 11 enfants », confie Florence Plet, dont la grand-mère Prospérine est décédée en 1972, et son grand-père Albert, en 1974.
Durant la cérémonie de reconnaissance parmi les Justes, un discours a été prononcé par l’un des fils des réfugiés hébergés par les Blottière, Jacques-Olivier David, employé au service pédagogique du Mémorial de la Shoah. Il a d’ailleurs appris par hasard qu’un dossier avait été déposé pour honorer la mémoire des protecteurs de membres de sa famille.
« Le 19 avril 1944, Albert et Prospérine Blottière ont recueilli dans leur ferme, à Grand-Camp, neuf juifs en détresse : Paulette et Paul David, 34 et 41 ans et leurs enfants, Simone et Jacques David — mon père —, 13 et 8 ans ; Malvina Lupu, leur belle-sœur de 45 ans et ses quatre enfants, Maurice, 22 ans, Berthe, 18 ans, Jeanine 14 ans et Irène, 4 ans, se rappelle-t-il. Alors qu’ils étaient à bout de force et sans nouvelles de tous leurs parents déportés, Paulette David alla trouver Albert Blottière, 56 ans, agriculteur à Grand-Camp, ancien combattant et invalide de la Grande Guerre, afin qu’il les aide à retourner à Paris. Albert Blottière leur déconseillera vivement de se rendre à Paris. Il lui proposera alors de venir les chercher le mercredi suivant, à midi, jour de marché, à Orbec. Ce 19 avril 1944, il arriva donc avec deux carrioles, la sienne, et celle de son voisin, Monsieur Pinault, conduite par un jeune séminariste réfractaire, Jacques. En arrivant à la ferme en début d’après-midi, il dit à sa femme et à ses filles : “Donnez à manger à tous ces gens”. Elles vont préparer une gigantesque omelette. Voyant Paulette David, affamée, engloutir sa part en un instant, Albert Blottière la rassurera chaleureusement : “ne mangez pas trop vite, nous vous donnerons tout ce que vous voulez”, rapporte Jacques-Olivier David, l’émotion dans la voix.
Sources actu et paris-normandie