Abdallah Chatila, un homme d’affaires libanais, a racheté les effets personnels d’Adolf Hitler… pour les donner au peuple juif. Nous l’avons rencontré.
Un chapeau haut-de-forme porté par Hitler adjugé à 50 000 euros, une luxueuse édition de Mein Kampf, frappée d’un aigle et d’un svastika, offerte par Hitler à Goering adjugée à 130 000 euros… la maison munichoise Hermann Historica a organisé cette semaine une vente aux enchères d’objets du IIIe Reich, vente qui a indigné le monde entier. Si les organisateurs de la vente sont restés discrets sur l’identité des acquéreurs, on sait que la plupart des objets personnels ayant directement appartenu à Adolf Hitler ont été rachetés par l’homme d’affaires libanais Abdallah Chatila. Ce dernier a déboursé près de 600 000 euros en quelques minutes… pour des objets qu’il ne veut surtout pas garder. Nous l’avons rencontré. Il nous a expliqué son geste.
Baskets, sweat à capuche et barbe de trois jours, l’homme de 45 ans, qui ne porte des costumes « que pour les mariages et les enterrements », n’a pas franchement le look d’un nostalgique du IIIe Reich. Bien au contraire. Ce Libanais, qui a fait fortune dans l’immobilier genevois, montre volontiers les factures de la maison de vente Hermann Historica. Le voici donc propriétaire d’objets à la symbolique encombrante : outre le chapeau et l’édition rare de Mein Kampf, il a aussi acheté la boîte à cigares personnelle du Führer, un cadre en argent offert au commandant SS Ulrich Graf, plusieurs lettres manuscrites à son ami d’enfance August Kubizek, une boîte à musique en argent, cadeau de baptême d’Edda Göring en 1938, ou encore la machine à écrire que Traudl Junge, l’assistante d’Hitler, utilisait pour saisir les textes du dirigeant nazi… « J’ai d’abord voulu acheter ces objets pour les détruire », confie cet habitué des ventes aux enchères d’art contemporain, de passage en France. Cet homme, qui se définit comme un « chrétien libanais avec un nom musulman » (et athée), a finalement changé d’avis.
« Subtilités de la mémoire »
Devant les débats sur le sort à réserver à ces objets – certains considèrent qu’ils constituent un témoignage historique important –, Abdallah Chatila hésite un temps et consulte autour de lui : « Je n’ai pas fait beaucoup d’études et je ne comprends pas forcément toutes les subtilités de la mémoire… J’en suis arrivé à la conclusion que la décision ne m’appartenait pas. Qu’il s’agisse de les détruire, de les exposer ou simplement de les conserver, c’est au peuple juif s’en décider. » Il contacte donc l’association caritative paraétatique collectant des fonds pour Israël Keren Hayessod, qui prend acte de sa décision. « Nous avons été très émus par le geste de monsieur Chatila », explique Henri Levy, directeur Europe du Keren Hayessod. « C’est le seul acheteur de cette vente à nous avoir contactés. Sa volonté de vouloir nous confier ces objets ne me pose aucun problème. J’irai récupérer ces objets. Nous n’avons pas encore arrêté de décision définitive quant à la destination de ces objets », explique Henri Levy. Il semble cependant très probable que ces artefacts puissent rejoindre le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, qui dispose d’une section d’objets nazis.
C’est en tombant sur un article relatant la polémique entraînée par cette vente aux enchères qu’Abdallah Chatila s’est décidé à se lancer dans cet achat. Il contacte la maison de vente allemande et remplit plusieurs questionnaires avant d’avoir le droit d’accéder au catalogue en ligne. Plus de 200 lots sont en vente. « J’ai demandé à ce que l’on m’identifie les objets directement liés à Adolf Hitler. Il y en avait une douzaine. Je ne m’étais pas fixé de limite. S’il avait fallu débourser un million d’euros, je l’aurais fait », raconte l’homme, un peu contrarié d’avoir laissé échapper par erreur deux objets qu’il avait inscrits sur sa liste, dont un document cosigné par Hitler et Mussolini. « La maison semblait méfiante avant la vente, mais elle a finalement été soulagée que je fasse ce geste. Cela venait confirmer l’idée que ces objets ne tombaient pas entre les mains de gens aux intentions douteuses. » Abdallah Chatila défend la rationalité de son acte : « Je n’ai vraiment aucune fascination pour ces objets, que je n’ai d’ailleurs pas prévu de voir. Je veux juste les transmettre et me dire que j’ai été bien inspiré de le faire », nous explique-t-il.
Crainte de polémique
L’homme d’affaires, à la tête d’un groupe florissant et d’une fondation philanthropique, considère que « la fortune doit rendre exemplaire ». Il finance diverses actions caritatives en faveur de réfugiés syriens, de Palestiniens et d’associations interculturelles et interreligieuses juives. Il affirme ne pas rechercher spécialement la lumière. Pourquoi, dans ce cas, avoir accepté de nous en parler ? « Parce que j’avais peur qu’on lise dans la presse Abdallah Chatila achète les objets personnels d’Hitler sans aucune autre forme d’explication. Je vous laisse imaginer l’effet », avance-t-il. Devant la crainte d’une polémique incontrôlable, des proches tentent de le dissuader de se lancer dans un tel achat : « ils avaient peur que ça me retombe dessus », explique ce père de trois enfants, né au Liban dans une famille chrétienne de bijoutiers-joailliers. « Ma famille a déménagé en Italie pour fuir la guerre, puis en France pendant trois ans – à Cannes –, puis en Suisse, où je vis aujourd’hui. J’essaie toujours de comprendre comment le monde a pu basculer dans une telle folie meurtrière. » Depuis que son nom a commencé à circuler, il a reçu de nombreux messages de remerciements de la part d’amis juifs. « Le souvenir est important, les générations futures doivent réaliser qu’Hitler a bien existé », conclut Abdallah Chatila, qui n’a jamais visité le mémorial de Yad Vashem. Rendez-vous l’année prochaine ?