En Pologne, la nomination de Michal Bilewicz, chercheur spécialiste de l’antisémitisme est au point mort depuis des mois. Michal Bilewicz a souvent été la cible de membres du PiS, le parti au pouvoir, qui l’ont accusé de porter préjudice à la réputation du pays.
La politique historique du gouvernement ultraconservateur polonais se retrouve-t-elle, une fois de plus, en porte-à-faux avec la liberté de recherche ? La présidence de la République polonaise retient, depuis plus d’un an, la nomination au titre de professeur du chercheur Michal Bilewicz, spécialiste reconnu en matière de recherches sur l’antisémitisme, la xénophobie et le langage de haine. L’universitaire, directeur du Centre des études sur les préjugés de l’Université de Varsovie, avait été par le passé la cible de membres de la majorité du PiS (parti Droit et Justice), qui l’accusaient de porter préjudice à la réputation du pays.
La signature du président à la nomination au titre de professeur – la plus haute distinction académique – est pourtant censée être une simple formalité. Le président n’a pas de droit de regard sur la nature des recherches menées par les nominés. L’administration présidentielle a toutefois communiqué que le cas de M. Bilewicz est « analysé à la chancellerie » et qu’il sera transmis au président Andrzej Duda, « après clarification de tous les doutes qui sont apparus au moment de la préparation du dossier ». « C’est une réponse curieuse, car la présidence n’a pas la compétence d’analyser la qualité des candidatures, souligne M. Bilewicz. Ma recommandation a été présentée sur la base d’une délibération du jury favorable à l’unanimité. »
Pas au goût du pouvoir
Si la réglementation ne spécifie pas de date butoir à laquelle le président doit apposer sa signature, ce délai de plus d’un an est considéré comme exceptionnel dans le monde académique. « Je veux toujours penser qu’il s’agit de lourdeurs administratives, explique M. Bilewicz. J’ai commencé à m’inquiéter en voyant que des nominés dont le dossier avait été déposé après moi avaient déjà obtenu la signature du président. » L’universitaire a reçu, par ailleurs, de plus en plus de signaux indiquant que ses recherches n’étaient pas du goût du pouvoir. En mai, il avait été la cible, sur les réseaux sociaux, d’un membre du cabinet du premier ministre, Andrzej Pawluszek, qui recommandait aux autorités administratives de « contrôler les dotations publiques des antifascistes professionnels ».
Les ennuis de Michal Bilewicz avec la droite dure polonaise ont commencé en mars 2018, quand, dans le cadre des commémorations des purges antisémites du régime communiste de 1968, le chercheur a donné une conférence remarquée au Musée des juifs de Pologne Polin. Des figures nationalistes ainsi que des membres de la majorité ultraconservatrice ont accusé l’événement d’avoir un caractère « antipolonais. » Deux sénateurs PiS ont interpellé le ministre de la culture, accusant Michal Bilewicz de « manque d’objectivité » et le Musée Polin d’être devenu un « instrument politique ».
L’institution culturelle la plus visitée
Le directeur du Musée Polin, Dariusz Stola, se trouve actuellement dans une situation similaire à celle de Michal Bilewicz : bien qu’il ait remporté le concours pour sa propre succession il y a plus de cinq mois, le ministre de la culture, Piotr Glinski, refuse toujours de signer sa nomination. « Il faisait de la politique. De la politique très agressive, et le musée, avec son statut, ne devrait pas se mêler de politique », justifie le ministre. Le Musée Polin, dont l’ancien président Lech Kaczynski a été l’un des principaux instigateurs, est pourtant l’institution culturelle la plus visitée de Pologne et bénéficie d’une renommée internationale considérable.
« J’ai l’impression que la droite polonaise attend de ce musée qu’il présente uniquement l’histoire ancienne, qui fait l’objet de peu de controverses, souligne M. Bilewicz. Mais toutes les tentatives de montrer l’histoire récente des relations judéo-polonaises qui vont à l’encontre de la politique historique officielle sont taxées de “politisation” ou d’“antipolonisme”. » Le problème est que cette politique historique, qui glorifie les actions des Polonais non-juifs, va à l’encontre de la mémoire collective des juifs de Pologne. »
Le ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, Jaroslaw Gowin, représentant de la frange la plus modérée de la majorité, a assuré dans un entretien récent à la presse progouvernementale qu’il « ferait mur face à toute tentative de restreindre la liberté de parole dans les universités », même face à des recherches qui vont à contre-courant de la pensée conservatrice et gouvernementale. Les universitaires spécialistes des relations judéo-polonaises et des historiens de la Shoah ne s’en retrouvent pas moins régulièrement pris à parti par le pouvoir.