Léontine Bracchi a caché chez elle, à Beaufay, René et Daniel Herszbaum, deux garçon juifs, pendant la deuxième Guerre Mondiale. Les membres de la famille recherchent maintenant la descendance de leur sauveuse et se mobilisent pour qu’elle soit reconnue Juste parmi les Nations à titre posthume.
Léontine Bracchi a sauvé deux enfants juifs à Beaufay pendant la seconde Guerre Mondiale. Jusqu’à sa mort en 1977, elle aura eu la reconnaissance précieuse et affectueuse de ces deux frères devenus grands, Daniel et René Herszbaum. Mais aux yeux des membres de la famille des deux rescapés, ce n’est pas suffisant. Ils sont aujourd’hui à la recherche des petits-enfants de cette sarthoise et font en sorte que Léontine reçoive à titre posthume le titre de Juste parmi les Nations.
L’histoire oubliée de leur sauvetage
René et Daniel ont 4 et 9 ans quand en 1944 leur mère est arrêtée par les Allemands. Elle sera déportée quelques semaines plus tard aux camps de Drancy puis d’Auschwitz. Leur père a été arrêté un an plus tôt. Les frères ne reverront jamais leurs parents. Ils ont réussi à s’échapper de la maison où ils habitaient, par une fenêtre, quelques instants avant que leur maman ne soit arrêtée par les soldats. Ils trouvent alors refuge chez une femme qu’ils connaissaient : Léontine Bracchi. Elle les protège, les fait passer de fermes en fermes. Ils finissent par se séparer. René ira dans la famille côté paternel, Daniel celle côté maternel. Ce dernier finira par quitter la France pour s’installer dans un kibboutz en Israël en 1959.
En 1966, les deux frères se retrouvent à Beaufay. Jackie, la veuve de René en parle avec émotion : « c’était tellement difficile pour mon mari de revenir dans la Sarthe. Je ne peux pas mettre de mots pour l’expliquer. Mais je voulais que Daniel, qui n’avait que 5 ans à l’époque et ne se souvenait pas vraiment d’elle, je voulais qu’il la connaisse Mme Bracchi. Et quand elle les a reconnus devant chez elle, vous dire l’émotion… Tout le monde pleurait car c’était vraiment un moment important. Surtout pour elle car elle ne savait pas tout ce qui leur était arrivé, elle pouvait penser qu’ils étaient morts depuis. » Sujet trop douloureux pour eux, leur passé commun restera caché de leurs familles.
L’hommage familial
Réunis au cimetière de Beaufay, autour de sa tombe dont la pierre est foncée par le temps faute d’entretien, il y a des anciens du village qui ont connu Léontine, mais surtout la famille des enfants Herszbaum qu’elle a sauvés. Jackie Herszbaum peine à retenir son émotion : « Mme Bracchi… Ce nom, il est gravé dans ma tête parce que j’ai toujours pensé que c’était une personne extraordinaire. » Elle est persuadée que René, qui refusait d’évoquer ce passé si sombre, aurait aimé voir sa famille s’approprier son histoire et la voir se mobiliser pour qu’hommage soit rendu à Léontine Bracchi : « mon mari c’était quelqu’un de toujours gentil, qui avait toujours le sourire, et il ne voulait pas embêter les gens avec cette histoire terrible. Il n’en parlait pas. Moi je la connais car c’est normal en soixante ans de mariage, mais il n’en parlait pas autour de nous pour ne pas gêner les gens. C’était son histoire. »
Dominique, la petite cousine de René et Daniel est également présente. Elle a participé activement aux recherches dès que le fils de Daniel l’a contactée. Sagi habite le kibboutz Mishmar HaSharon, au nord de Tel Aviv. Son père est un peu plus au nord, près de la frontière du Liban. De ses racines, il y a quelques semaines, il ne connaissait pas grand chose. Il raconte : « mon père a 80 ans maintenant, et toute sa vie il a caché son passé. Il est resté français au fond de lui, mais il est parti vivre en Israël en 1959, il a changé de nom de famille. Il voulait tout laisser derrière lui pour reconstruire une nouvelle vie. »
Mais ces dernières années, sentant peut-être le besoin de transmettre son expérience au jeunes générations, il a commencé à en parler. « Il a décidé de partager son expérience de petit garçon de 4 ans échappant à l’Holocauste« , précise Sagi, « et il a commencé à faire des conférences dans des lycées. Face à lui et son récit, des gens ont commencé à lui demander de plus en plus de choses sur Mme Bracchi et sa vie. Mais il ne savait pas grand chose et gardait toujours cachées certaines choses. Alors j’ai commencé à faire des recherches pour combler les trous. En faisant ça, j’ai appris énormément de choses sur ma famille, sur mes racines, sur mes grands-parents, avec des photos. En voyant tout ce que j’avais découvert, il a fini par aller chercher tous les documents qu’il avait gardés dans une cachette dans le grenier de sa maison. »
Sagi commence alors à comprendre l‘importance de Léontine : « Ils avaient perdu leurs parents, alors Mme Bracchi pour eux a été comme une grand-mère. Elle les a cachés et a pris soin d’eux. » Il décide de commencer à constituer un dossier sur l’héroïne de son père et son oncle et vient en France, au Mans et à Beaufay pour compléter ses recherches. Dominique : « le dossier avait besoin d’être consolidé. Notamment en venant ici à Beaufay où nous avons pu rencontrer les anciens, tous ceux qui ont connu Mme Bracchi, dont certains ont entendu parler de son action pendant la guerre. » Ils ont également pu bénéficier d’un coup de main d’Yves Moreau, historien amateur, spécialiste des déportés de la Sarthe : « j’avais trouvé des documents aux archives départementales de la Sarthe qui indiquaient la déportation des parents, Gadel et Yvonne Herszbaum. Mais en ce qui concerne les enfants, il n’y avait qu’un document de l’administration française de l’époque qui dit que les enfants ont disparu le jour de l’arrestation de la mère. »
Juste parmi les nations
Le dossier est quasiment prêt à être envoyé à Yad Vashem, l’organisme israélien en charge de reconnaître ceux dont les actions ont pris des risques pour sauver des vies de juifs. Avec l’aide de Dominique, Sagi a bon espoir que Léontine soit reconnue Juste parmi les nations. Dominique aussi : « aujourd’hui on a pu réunir des photos d’elle avec René et Daniel pendant la guerre, avec ses petits enfants aussi. On peut reconnaître son acte héroïque pendant la guerre puisqu’elle a caché ces deux enfants de fermes en fermes pour qu’ils aient la vie sauve. On sait également qu’elle a pu rendre visite à la maman au moment de son arrestation et qu’ainsi, celle-ci, avant d’être déportée a su que ses deux enfants avaient la vie sauve et qu’ils étaient en sécurité. »
Transmettre l’histoire de Léontine et faire quelle soit reconnue Juste parmi les nations, Sagi en a fait son devoir. Un hommage qu’il aimerait aussi partager avec la famille de Léontine. Des messages ont été lancés via les réseaux sociaux aux petits-enfants et arrières petits-enfants, les familles Chaumulon et Maingard, pour l’instant restés sans réponse. Sagi : « j’espère vraiment qu’on retrouvera ses petits-enfants, pour leur raconter toute l’histoire, qu’ils sachent à quel point elle a été courageuse, et que si je suis dans ce monde c’est grâce à elle. Il faut qu’elle soit reconnue juste, on le fait pour elle, pour ses petits-enfants et pour l’Histoire. Les gens qui risquent leur vie pour sauver celles des autres ont droit à notre reconnaissance, c’est important je pense. »
Dans peu de temps, Léontine deviendra probablement la 75ème Juste de la Sarthe. Yves Moreau : « il y pourrait y en avoir beaucoup plus qui méritent de l’être mais qui ne le seront jamais, ou qui le seront peut-être beaucoup plus tard parce que c’est une démarche très difficile. Il faut apporter des preuves que les personnes ont bien été aidées par des personnes qui n’avaient pas d’intérêt financier à les avoir chez eux, il faut trouver des témoins, et faire un dossier assez important à Yad Vashem. C’est l’Etat d’Israël qui reconnait les justes et ça ne peut pas être fait sans preuves tangibles. Plus le temps passe et plus ces preuves sont difficiles à trouver, parce que évidemment les témoins disparaissent, les gens qui ont caché sont disparus, et maintenant ce n’est plus que les enfants ou les petits-enfants qui peuvent encore recevoir en leur nom cette médaille. »