Les actes antisémites sont en hausse à Toulouse, comme partout en France. Le réalisateur Georges Benayoun, César du meilleur film en 1995 pour «Les Roseaux sauvages», a choisi la Ville rose pour poser sa caméra pendant 3 mois afin d’illustrer ce fléau.
Pourquoi avoir réalisé ce documentaire ?
J’avais envie de réaliser un film sur l’antisémitisme qui ne soit pas un film d’experts. Le film «Le chagrin et la pitié» m’a beaucoup marqué. Quand Marcel Ophuls a réalisé son film en 1971, il a planté sa caméra à Clermont-Ferrand ; j’ai essayé de faire de même à Toulouse». J’ai voulu partir du local pour comprendre le national. C’est aussi une façon de lui rendre hommage.
Pourquoi avoir choisi Toulouse ?
Beaucoup de films sur le sujet ont été faits en banlieue parisienne, je trouve qu’ils rendent partiellement compte de la réalité. Pourquoi Toulouse ? C’est la quatrième ville de France, il y a eu l’école Ozar Hatorah, et surtout c’est une ville radicale, de gauche qui a abrité de nombreux résistants et anarchistes. Nous sommes partis à sa découverte, nous voulions saisir l’antisémitisme en mutation de cette ville.
Comment s’est passé le tournage ?
Ce qui m’a profondément étonné et troublé pendant ce tournage c’est le nombre de réponses négatives que nous avons reçues, notamment de la part du milieu culturel et intellectuel de la ville, juif et non juif. On s’est entendu dire que parler était dangereux, ils craignaient les représailles. Certains ont témoigné caché, je ne m’attendais pas ça.
Les actes antisémites ont augmenté de 74 % en 2018, comment expliquer cette hausse ?
Ces chiffres me détruisent, mais je pense que c’est un phénomène qui s’étend au-delà des Juifs et est révélateur d’une fragilité de la société.
Quel est votre objectif en sortant ce documentaire ?
À Toulouse, il y a une énergie formidable, des gens remarquables, mais une marque sombre. Les rabbins sont insultés et reçoivent des crachats tous les jours ; parmi ceux qui ne voulaient pas témoigner, il y a une mère et sa fille qui ont été exfiltrées de chez elles, car elles étaient la cible d’antisémites. L’idée de ce film, c’est d’alerter. Aujourd’hui, il y a une libération de la parole, on a vu son apogée avec des gens comme Soral, Dieudonné, et certains leaders des Gilets jaunes ; elle a été suivie d’une libération de la violence. N’oublions pas qu’en quinze ans, douze juifs en France ont été tués car ils étaient Juifs. Beaucoup de monde a alerté, mais la prise de conscience est tardive… Le climat sur les sujets du vivre-ensemble est anxiogène, l’antisémitisme est un symptôme.
Comment faudrait-il réagir ?
On se doit se poser des questions : que veut-on pour demain ? Quelles solutions peut-on mettre en œuvre pour arriver à créer des passerelles entre les communautés ? Le problème est que l’on n’ose pas nommer les choses. Il faut affronter ce sujet, or, la gauche a démissionné. Je crains que la situation ne devienne insupportable à force de nier. Quand un juge d’instruction dit que Sarah Halimi (femme juive de 65 ans suppliciée et défenestrée de son appartement à Paris en avril 2017, NDLR) a été tuée à cause d’un problème de démence, j’ai envie de hurler. Il y a un cri sourd de la part de la communauté… Et à un moment donné, il est important que les victimes soient reconnues par la justice. L’antisémitisme est dans l’air ambiant ; il est dénoncé mais cela n’est pas entendu. Il est la convergence de trois antisémitismes : celui d’extrême-droite, chrétien et traditionnel, chez les Soral et autres. Celui d’extrême gauche, qui se cache trop souvent mais s’exprime de plus en plus derrière l’argument antisioniste et l’islamisme radical. Les uns et les autres s’alimentent, s’encouragent, se protègent
En avant-première jeudi 17 octobre
L’avant-première du film «Chronique d’un antisémitisme d’aujourd’hui» aura lieu ce jeudi soir à 20 h 30 au cinéma ABC, en présence du réalisateur Georges Benayoun. Le documentaire sera ensuite diffusé sur France Télévision fin novembre. Georges Benayoun (auteur et réalisateur) a produit près d’une cinquantaine de films et nombre de séries à succès. Il a évoqué le phénomène de l’antisémitisme dans «L’assassinat d’Ilan Halimi» de Ben Izaak, en 2014. Dans son dernier film, «Complotisme, les alibis de la terreur», le producteur évoque l’angle du complotisme islamiste.