Ainsi, Kaïs Saeïd, vient d’être élu, sans surprise aucune, président de la Tunisie. Pour comprendre le résultat de cette élection, aux dés pipés, et tronquée, il convient de revenir un peu en arrière.
Au mois de juin, pressentant que le magnat de la télévision, Nabil Karoui, était en tête des sondages, le premier ministre, Chahed, qui se voyait, et se voulait, unique successeur du vieux Beiji, fait modifier la loi électorale pour barrer la route à tous les adversaires politiques qui pourraient le gêner dans sa course vers Carthage.
Ce traficotage de la loi électorale, à la veille des élections, suscite un tollé parmi la classe politique. Et le vieux Beji refuse de promulguer la loi, juste avant de passer l’arme à gauche. La campagne électorale s’ouvre donc avec la présence des candidats « indésirables ». Le premier ministre, ne pouvant faire prévaloir la loi pour éliminer son adversaire, va utiliser la justice pour le mettre hors d’état de nuire. Le 23 août, Nabil Karoui est arrêté à la suite d’un mandat d’arrêt produit par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Tunis.
24 candidats sont retenus pour le premier tour des présidentielles qui se tiennent le 15 septembre. Le vote est marqué par une très forte abstention, et le résultat balaye toutes les figures historiques du paysage politique, laissant en lice deux candidats, atypiques : Nabil Karoui et Kaïs Saïed.
Le premier est un homme d’affaires médiatique, qui a connu son chemin de Damas, à l’issue de la mort de son fils, et s’est mué en une sorte de mère Theresa, jurant d’en finir avec la pauvreté dans le pays. Le second est un enseignant de droit, à la retraite, que l’on dit intègre, mais qui n’a pas pipé mot durant les vingt années de dictature. Illuminé, sans charisme, et archaïque en diable, il va prendre, au fil de la campagne, l’allure d’un Messie rédempteur qui va, aux dires de beaucoup, laver la Tunisie de tous ses péchés. Amen !
La mise à l’écart de Nabil Karoui, de manière illégale, comme l’a constaté cette semaine la Cour de Cassation, va fausser le jeu démocratique, et pourrir foncièrement le climat des élections. Ce qui est étrange, c’est qu’aucune enquête n’a été diligentée à ce jour, pour faire la lumière sur cette manœuvre dilatoire et d’en condamner les initiateurs.
Les élections législatives organisées dans la foulée consacrent l’éclatement, on parlera même de balkanisation, du paysage politique. Le Parti Islamiste Ennahda arrive en tête après avoir perdu pas mal de plumes dans la bataille. Et les salafistes, du parti, très daechien, al Karama, décrochent 21 sièges au Parlement.
La gauche boit la tasse et disparaît corps et biens, victime de ses propres dissensions et ses luttes fratricides.
Les élections législatives, loin d’enclencher une révolution, amorcent en fait une régression profonde, et livrent, une fois de plus, le pays aux islamistes qui jubilent à l’idée de tourner à jamais la page du mandat de Béji Caïd Essebsi, qui avait fait rêver, malgré lui, d’égalité d’héritage, d’abolition de la peine de mort et de dépénalisation de l’homosexualité. Adieu, veaux, vaches.
Pour achever cette déconfiture démocratique, Nabil Karoui est libéré, in extremis, à la veille du deuxième tour. Il débarque ainsi à la dernière heure dans une élection jouée d’avance. Ennahda qui a trouvé son cheval de Troie en Kaïs Saïed, a mis, entre-temps, le paquet, en bourrant les urnes, comme d’habitude, et en lynchant sur les places publiques et les réseaux sociaux, Karoui, comme on a jamais lynché personne: qualifié d’incarnation du diable, de mafiosi, de trafiquant, de nazi ! Il reçoit le coup de grâce quand on le taxe d’agent du Mossad.
Dans ce monde arabe, attardé, retardataire et fossilisé dans l’âme, pas besoin de chaise électrique ni de peloton d’exécution pour les peines capitales. Pour flinguer quelqu’un il suffit de lui coller simplement sur le dos l’étiquette : « Juif », « Mossad » ou « Israël ». Son espérance de vie n’excédera pas les 24 heures !
Les Islamistes mettent le paquet : taxis, hébergements, louages, bus, repas gratuits, sont mis à la disposition de tous ceux qui s’engagent à voter pour Kaïs Saïed. Allez gagner contre des partis religieux qui parlent au nom de Dieu lui-même, et promettent la clé du paradis à quiconque se montre généreux envers eux!
Le débat organisé à la veille du second tour, donc sur les chapeaux de roues, va jeter une lumière crue sur la faillite du politique durant cette drôle de campagne, faite d’injures, de délation, d’excommunication et d’insultes. Le degré zéro de la démocratie.
Sur un plateau éclairé, et décoré comme « The Voice », deux journalistes, engoncés et guindés, accrochés à leur chronomètre comme des arbitres du 100 mètres aux JO, distribuent la parole à deux candidats qui n’ont rien à dire, rien à proposer, rien à défendre, et qui, apparemment, ignorent tout de la gestion des affaires publiques. On ne prononcera aucun chiffre durant cette « confrontation » historique, c’est dire !
Aucun des deux candidats n’a de programme, et ne peut parler de l’avenir de la Tunisie, tant l’un, Karoui, est obsédé par « ses pauvres » ; et l’autre, Saïed, est subjugué par sa propre probité. Le premier Kaïs Saïed, docte, pérorant dans le vide, enfilant des métaphores en arabe classique ; et, en face, Nabil Karoui, aussi mal à l’aise en arabe qu’une comédienne égyptienne dans un tutu.
Le moment le plus cocasse et le plus pathétique c’est quand les journalistes posent la question aux deux candidats sur les sources de financement de leur campagne : tout penaud, Nabil Karoui nous révèle que c’est sa maman qui lui a fait un chèque ; alors que Kaïs Saïed, nous assure qu’il a vendu la maison de son père ! On croit rêver ! Demain, pour éponger le déficit commercial du pays, ils feront sûrement appel au bas de laine de leur grand mère.
On s’attendait à ce que les deux soient interrogés sur les grands sujets de l’heure : la crise du tourisme, le taux de chômage, l’immigration clandestine, la fuite des cerveaux, le déficit de la balance commerciale, la chute vertigineuse du dinar.
Que nenni ! Aux yeux des journalistes de la Wataniya tout cela n’est que menu fretin, le principal problème de la Tunisie, c’est Israël ! Et de poser la question aux deux candidats pour savoir s’ils sont pour où contre la normalisation des relations avec l’Etat hébreu. C’est à croire que le Golan se trouve au Cap Bon et que Ramallah est la capitale de la Tunisie . Et bien sûr aux deux candidats de en hargne et promesses, jurant l ‘un et l’autre de criminaliser toute tentative de normalisation avec Tel Aviv, comme si six millions d’Israéliens allaient débarquer dans l’heure à l’aéroport de Carthage.
Le pire de l’inculture on va le connaître avec Kaïs Saeïd qui, a la fin du débat, cite le film de Youcef Chahine, « le Moineau », comme un symbole de « l’oiseau qui fuit sa cage à la recherche de la liberté », quelle science! alors que le film parle de la branlée historique du monde arabe face à Israël en 1967!
L’avantage et le malheur de la Palestine c’est que ça mange pas de pain. Quand on veut rassurer le pauvre électeur arabe, qui est dans la merde jusqu’au cou, on lui murmure à l’oreille : « T’inquiète pas mon pauvre, on va emmerder Israël » ; et le pauvre dormira tranquille, heureux, serein, le ventre vide, mais plein de haine pour les juifs, alors que sous ses fenêtres les salafistes chantent à tue tête le retour du Califat : Allah est grand !
Bonne nuit, les enfants, faites de beaux rêves, Kaïs Saïed veille désormais sur vous.