Utilisée par plus de 130 millions d’utilisateurs chaque mois, Waze est aujourd’hui la référence des applications de navigation. Depuis le siège de l’entreprise à Tel Aviv, nous avons pu découvrir les secrets de son impressionnante réussite.
Chaque mois, 13 millions de Français utilisent Waze pour se déplacer. Référence absolue des applications de navigation, Waze a su séduire par sa capacité à anticiper les problèmes de la route. Voies fermées, accidents ou bouchons… l’application collecte un maximum d’informations en temps réel pour vous permettre de gagner du temps, le tout gratuitement. Rares sont les personnes mécontentes de Waze, comme en témoignent les commentaires sur l’App Store et le Play Store, proches de l’excellence.
Pourtant, peu d’utilisateurs connaissent le secret de la mappemonde Waze. Si vous pensiez que l’entreprise a recruté les meilleurs cartographes du monde pour atteindre ce degré de qualité, vous vous trompez sévèrement. Ce travail titanesque est l’œuvre d’une communauté de passionnés bénévoles, l’entreprise ne gère aucunement sa carte. En déplacement à Tel Aviv, au siège de Waze, 01net.com a pu rencontrer les personnes sans lesquelles Waze serait loin d’être aussi efficace. On vous raconte l’incroyable fonctionnement de cette entreprise.
Waze est parti d’une carte vierge
Cartographier le monde à partir d’une carte vierge, voilà le délirant projet que se sont lancés les fondateurs de Waze en 2008. Créée en Israël peu après la naissance de l’iPhone et d’Android, elle utilise la puce GPS des smartphones pour analyser la manière dont les gens conduisent. En se basant sur les déplacements de ses premiers utilisateurs, l’entreprise a mis au point un algorithme capable de dessiner automatiquement des routes sur une carte vierge. Il n’y a pas besoin d’envoyer des experts sur sur le terrain, tout se fait automatiquement.
Bien entendu, un algorithme ne suffit pas pour couvrir le monde entier. Plutôt que d’utiliser un autre fonds cartographique pour obtenir les informations manquantes (comme OpenStreetMap par exemple), Waze a décidé de jouer la carte communautaire. Pour donner envie à un maximum de personnes de participer à son projet, Fej Shmuelevitz, connu aujourd’hui comme le tout premier employé de Waze, a eu l’idée de créer une sorte de compétition planétaire. « On a commencé à distribuer des goodies, à faire des jeux » nous explique-t-il. Un système de points est alors créé pour inciter les gens à s’investir plus. Chaque modification de la carte en rapporte un. Par exemple, lors d’une compétition, « celui qui obtenait le plus de points gagnait un iPad ». Tout a été fait pour donner envie aux gens de participer à ce projet gigantesque, à savoir créer le premier GPS gratuit et mis à jour plusieurs fois par heure. Ce système de points a aussi permis de trier les membres de la communauté selon six différents grades. Plus vous êtes haut dans l’échiquier, plus vous pouvez modifier la carte.
Vous l’avez compris, Waze n’est pas qu’un GPS amélioré par ses utilisateurs. Le contenu de l’appli est créé intégralement par une communauté, en charge de tous les ajouts et de toute la modération. Grâce à l’outil Map Editor, les fans de Waze dessinent les routes, ajoutent les magasins, font le tour des stations essence (pour mettre à jour les prix) et vérifient eux-mêmes les modifications des autres. Waze a réussi un coup de génie en s’octroyant seulement la gestion de la partie technique de l’application. Le reste lui est offert gratuitement et s’améliore chaque jour comme par magie. « Créer une carte du monde aurait coûté des millions dollars, on l’a eu gratuitement » raconte Fej.
Les conséquences du rachat de Google
Plusieurs années plus tard, Waze s’est imposé comme une des plus grandes réussites de la nouvelle économie des applications. En Israël, les journaux font chaque jour les grands titres sur la potentielle vente de sa pépite qui intéresserait a priori des grands noms comme Apple, Microsoft ou Google. C’est finalement le dernier qui remporte le gros lot. Waze rejoint le portefeuille Google en 2013 et entame le chapitre 2 de son histoire.
Après cet épisode, la logique aurait voulu que la communauté de bénévoles Waze se retire de l’application et laisse place aux ingénieurs de Google. Pourquoi travailler gratuitement pour une entreprise aussi géante que Google, qui dispose déjà d’un service performant de cartographie et n’a plus grand-chose à voir avec la start-up originelle ? Si quelques rebelles ont en effet quitté le navire, les piliers de la communauté sont eux restés fidèles à Waze et continuent de travailler gratuitement chaque jour pour améliorer le service. L’entreprise leur promet que rien ne changera et que l’application continuera de devenir meilleure. Pour l’instant, ils semblent y croire et la marque tient ses engagements.
Notons qu’à l’heure actuelle, Waze et Google sont deux entreprises indépendantes. Waze a conservé sa propre carte et n’utilise aucune donnée de Google Maps, si ce n’est son imagerie satellite dans l’éditeur. En revanche, la réciproque n’est pas tout à fait vraie. Il peut arriver à Google de piocher des informations sur Waze… en s’appuyant sur les signalements de la communauté. Géographiquement, l’entreprise israélienne a emménagé dans l’immeuble de Google à Tel Aviv mais dispose de ses propres étages. Quelques employés sont également aux États-Unis ou dans d’autres pays comme l’Ukraine.
Des voyages comme récompense
Sur les forums, les applications de messagerie et les réseaux sociaux, les membres de communauté Waze communiquent très régulièrement. Certains d’entre eux maîtrisent si bien l’application que des employés Waze nous ont même confié être parfois perdus ! De temps en temps et depuis presque une décennie pour certains, ils se réunissent lors événements locaux appelés « meetups » afin de réfléchir aux aspects de l’application qui peuvent être améliorés. En travaillant à plusieurs sur une même ville pendant plusieurs jours d’affilée, il est en effet plus facile de ne rien rater. C’est ce qu’ils qualifient d’« opération commando ».
Depuis l’arrivée de Google, le budget de Waze a grossi. En conséquence, l’entreprise organise tous les deux ans ce qu’elle qualifie de « Mega Meetup ». C’est à cet événement que nous avons assisté à Tel Aviv le week-end du 21 et 22 septembre 2019. Environ 70 membres de la communauté, des quatre coins du globe, ont eu droit à une visite de Tel Aviv et de Jérusalem tous frais payés ainsi qu’à une dizaine de sessions avec les employés de Waze. Ces derniers leur ont ainsi présenté les futurs plans de l’entreprise et leurs prochaines exigences, comme, par exemple collecter les prix de tous les péages de France. Oui, vous ne rêvez pas, ce sont bien les bénévoles de la communauté qui doivent s’occuper de ce genre de tâches.
À notre grande surprise, ce genre de requête ne semble pas déranger les membres de la communauté. Toutes les personnes que nous avons rencontrées s’accordent pour dire qu’elles sont « passionnées » par leurs travaux à Waze. Cinq Français étaient présents lors de ce Mega Meetup 2019 ainsi que d’autres francophones de Suisse ou de Belgique.
« Je peux passer 20 heures par semaine sur Waze »
Inscrit depuis 2010, Matthieu (Kpouer sur Waze) voit l’application comme un passe-temps. Ses heures passées sur Waze varient en fonction de son temps libre. « Ça peut aller de 0 à 12-13h par semaine, voire à une vingtaine d’heures lors des vacances » nous explique ce développeur informatique. Arrivé sur Waze au tout début, il explique avoir été séduit par la possibilité d’éditer la carte et s’avoue grand amateur d’open-source. Huitième plus grand contributeur français, il passe la majorité de son temps à gérer les remarques de la communauté en ligne ainsi qu’à l’édition de certaines routes africaines, un secteur auquel il est particulièrement attaché. Cet été, il nous confie avoir passé une grande partie de son temps à collecter les prix des péages, ce qui est extrêmement laborieux, étant donné la complexité du système français.
Marc (milkyway35) et Lionel (no1ne) font également partie des pionniers de la Wazosphère française. Tous deux présents depuis 2010, ils ont pourtant des profils très différents. Le premier est ingénieur informatique et passe deux heures par semaines à animer les réseaux français de l’application, le second travaille dans la voilerie et dédie 4-5 heures hebdomadaires à Waze. À l’époque très concentré sur les traductions de l’application, il supervise aujourd’hui certains retours des utilisateurs et ajoute des nouveaux lieux à la carte. Depuis quelques temps, les traductions françaises sont désormais gérées par une entreprise. Dans d’autres pays, cette tâche appartient toujours à la communauté.
De l’autre côté des Alpes, en Suisse, Vincent (vince1612) passe de son côté 4 à 6h par semaine sur Waze. Gardien pénitencier, il utilise l’application depuis 2013 comme un moyen de se vider la tête. Maintenance de la carte, validation de certains signalements… Ses tâches concernent surtout l’application de navigation.
Bien sûr, ce bénévolat pour une multinationale est un sujet auquel tous ont durement réfléchi. Certains nous confient que leur hobby divise leurs proches mais tous se défendent de faire le jeu de Google. Ils se voient plutôt comme une bande de passionnés qui aident les gens à se déplacer. « Il y en a qui joue à Candy Crush ou à la PS4 quatre heures jour, nous on tue le temps autrement » nous explique Lionel. Waze leur a également permis de fonder cette bande de copains férus de cartes qui, reconnaissons-le, semble assez unie. Tous se connaissent bien, se taquinent et semblent avoir partagé plusieurs bons moments de vie ensemble. Un des contributeurs décrit également ces voyages « Mega Meetup » comme une sorte de « compensation financière ».
44 « CM » pour gérer l’ensemble de la communauté
Avec des milliers de bénévoles à son service, Waze a logiquement fait le choix de ne pas investir dans des équipes chargées de superviser la carte. L’entreprise n’a que 520 employés, ce qui est peu compte tenu de son importance (en 2012, Google Maps en avait plus de 7000). Parmi eux, on compte 44 « CM » (community managers), des responsables de la communauté. Chacun en charge de différentes zones, ils interagissent directement avec les « membres piliers » de la communauté comme ceux que nous avons pu rencontrer à Tel Aviv. Ce sont également eux qui transmettent les missions, comme celles de cartographier les péages, les stations-essence ou les bornes de recharge de véhicules électriques.
La prochaine fois que vous utiliserez Waze, ayez une pensée pour ces milliers de passionnés sans qui l’application ne serait pas possible. Si ce modèle économique basé sur du bénévolat a de quoi laisser perplexe, il est difficile de renier son succès aujourd’hui. En inventant le GPS communautaire, Waze s’est doté de l’armée de cartographes la plus solide du monde.
1. Waze n’est pas toujours intelligent. Le preuve : je n’ai utilisé Waze qu’une fois et le parcours tortueux que j’ai accompli en suivant ses indications a été plus long et plus stressant que celui qui m’aurait conduit et retenu dans les bouchons.
2. Oui, le bénévolat à « visée inconnue », ça existe. Je connais un couple de retraités qui, depuis plusieurs années, fabrique bénévolement des SURTITRES pour que le public des concerts puisse enfin comprendre ce que les chanteurs disent, en suivant le texte projeté sur un écran. Mais de Woodstock à l’Opéra de Paris, ça ne touche pas grand’ monde !
Or, on parle de 130 millions d’utilisateurs de Waze. Que se passera-t-il quand les 130 millions trouveront une application plus rémunératrice, en jouant sur Internet ? Les cadeaux de Waze ré-apparaîtront, de plus en plus luxueux, de plus en plus coûteux, et Google passera à autre chose…