Ohad Naharin, l’inventeur du mouvement Gaga, a créé une pièce singulièrement joyeuse et loufoque, pour toutes les générations. Il en offre le génie et l’énergie à la Compagnie Grenade, un ensemble de jeunes professionnels, qui dansent avec panache et excellence. Kamuyot est une fête où se tissent même de furtives amitiés entre danseurs et spectateurs.
Josette Baïz, ancienne interprète des pièces-sources du mythique Jean-Claude Gallotta, a fondé une école de danse et une compagnie, toutes deux appelées Grenade. Ce qui est aujourd’hui un label dans le paysage de la danse, un gage de joie, d’énergie et d’excellence et de jeunesse. Au passage, Baïz a inventé une nouvelle formule pour la danse contemporaine, à savoir des programmes qui enchaînent des extraits ou de petites créations, offerts par les plus grands chorégraphes actuels.
Ces programmes-là sont aujourd’hui accueillis avec enthousiasme dans les salles les plus prestigieuses et tournent partout, même à l’international. Et si les danseurs sont jeunes – il s’agit du Groupe Grenade – ils récoltent l’enthousiasme du public et des professionnels par leur fraîcheur et leur excellence technique. En parallèle, Baïz créait ses propres chorégraphies, pour les interprètes de la Compagnie Grenade, et parfois aussi pour grand ensemble des jeunes du Groupe Grenade.
Confluences
Aujourd’hui, les deux approches se fondent en un seul spectacle. Avec Kamuyot, les professionnels adultes de la Compagnie Grenade suivent – à un certain degré – le modèle de leurs cadets. Au lieu de créer, de toutes pièces, une nouvelle pièce, Josette Baïz s’est rendue à Tel Aviv où elle a pu rencontrer Ohad Naharin. Et la vedette israélienne lui a permis de s’approprier, avec ses danseurs, cette œuvre de la Batsheva. Naharin avait pensé Kamuyot – spectacle composé à partir de deux créations précédentes de Naharin – comme un cadeau à un public de tout âge désirant de vivre un moment d’énergie vitale intense.
Car Kamuyot ne ressemble guère à d’autres spectacles de danse contemporaine – sauf à Mamootot, l’une des pièces de Naharin qui ont inspiré cette création, à l’origine faite pour le Young Ensemble de la Batsheva. L’accent est mis sur le contact direct entre le public et les interprètes. Tous partagent le même espace et la danse se déploie dans un carré, entouré des spectateurs. Le rythme ne saurait être plus intense, et l’énergie passe sans crier gare. Ici les danseurs partagent les bancs avec nous, ils nous regardent, nous parlent et parfois ils peuvent même nous toucher.
Rythmes, fête et rencontres
Les musiques agitent le bocal, du début à la fin. Lou Reed, reggae, pop japonaise, airs rendus populaires par des séries TV cultes et autres tubes : tout contribue à faire de Kamuyot une fête partagée. Certains songs affichent des messages volontairement entraînant car ici pris au pied de la lettre : « We’re Gonna Have a Real Good Time Together » ou « Do you wanna dance », et les plus jeunes d’entre les spectateurs profitent souvent de l’invitation implicite, envahissant l’aire de danse à la fin du spectacle, pour expérimenter les mouvements loufoques qu’ils ont pu contempler pendant cinquante minutes.
Car Ohad Naharin, on le sait, est l’inventeur de cette fameuse technique Gaga qui permet au corps – et de fait à tous les corps de tous les âges – de bouger avec une liberté insoupçonnée. Gaga est pour tous, c’est une boîte à outils où chacun se sert à sa guise, en dansant ou dans son quotidien. Pour un danseur professionnel, Gaga est alors un tremplin qui permet de dépasser les limites supposées du corps. C’est vrai pour le Young Ensemble de la Batsheva dont la virtuosité presque surréelle a tant impressionné à la création de Kamuyot, en 2003 et en 2014, quand la pièce fut remontée par Naharin. Aujourd’hui, elle inspire les corps et les esprits des danseurs de Grenade qui ont autant de verve, de fougue et d’excellence à offrir.
Thomas Hahn