Une bonne blague dit que l’humour juif fait rire avec des histoires à double sens qu’on ne comprend qu’à moitié. La définition s’applique probablement au film Mossad, concentré apparent d’autodérision.
Mossad, c’est évidemment le nom des services secrets d’Israël, réputés parmi les plus efficaces du monde. Sauf qu’ici, le traitement se fait en pochade, pour ainsi dire à la OSS 117.
Elag Peleg, président fondateur de Daroma Productions, maison derrière le long métrage, cite plutôt Air Plane, Top Secret ou Naked Gun comme lointains modèles. « L’histoire est bâtie autour d’agents du Mossad, mais aussi de la CIA, qui essaient de sauver le monde, explique le producteur, joint par téléphone en Israël. C’est une parodie qui permet de rire d’un sujet sérieux. Notre film propose un autre point de vue sur le militarisme israélien. »
La comédie a été lancée fin juin et a vite battu le record du départ en salle le plus fulgurant de l’histoire du cinéma du pays, tout en rivalisant avec d’autres longs métrages d’été comme Toy Story 4 ou The Secret Life of Pets 2. Le succès repose en partie sur Tsahi Halevi, beau ténébreux talentueux plus habitué jusque-là aux rôles durs et sévères, comme dans la série When Heroes Fly. Mossad est déjà le film le plus populaire de 2019 sur les écrans du petit pays.
Un miracle
Les ventes à l’étranger de productions israéliennes ont rapporté environ 335 millions de dollars en 2016. Comment expliquer ce miracle dans un pays plutôt pauvre d’à peine neuf millions d’habitants ? Par la qualité des scénarios, du tournage, des comédiens ? C’est bien le minimum.
À l’évidence, les écrans israéliens sont d’autant plus passionnants qu’ils tendent un miroir plus ou moins déformant à leur société, elle-même d’une complexité franchement folle. Israël fait plusieurs grands écarts en même temps avec ses immigrants, riches ou pauvres, venus du monde entier, et ses déchirures idéologico-politiques allant du socialisme laïque au sectarisme religieux de stricte obédience. C’est aussi un État constamment menacé d’entrer en conflit avec certains pays ou groupes ennemis plus ou moins proches.
Oleg Peleg enchaîne sur la même idée concernant sa société sous tensions. Lui-même a déjà une vingtaine de films de fiction et de documentaires à son actif, dont Between Worlds (2016) sur les relations entre une mère et son fils victime d’une attaque au couteau et Alim adulim (2014) sur la vie difficile d’un immigrant éthiopien. Il vient de mettre en chantier une série télé racontant une autre histoire impliquant un juif éthiopien (Falasha) victime de discriminations.
« L’atmosphère est assez unique au monde ici, ajoute-t-il. Les énormes tensions nourrissent un surplus de créativité. Nous recevons des immigrants de partout dans le monde. Nous vivons tous ensemble, nous sommes tous passionnés par notre pays, mais nous sommes tous très différents, et cette diversité multiplie encore les tensions. »
Une polyvalence
Le producteur ajoute une autre explication liée à une caractéristique nationale bien évidente dans l’ingéniosité et l’inventivité du pays dans le domaine des nouvelles technologies. « Nous sommes une société d’entrepreneurs, dit M. Peleg. Ici, chacun pense qu’il peut surmonter tous les obstacles pour arriver à ses fins. Cette culture se reflète partout dans notre industrie. Le preneur de sons se dit qu’il peut aussi devenir monteur, et il le fait. Cette polyvalence permet de réduire les coûts de production et de dynamiser énormément les plateaux de tournage. »
M. Peleg en rajoute sur les conditions de production. « Je ne suis pas riche, avoue-t-il. Chaque année je me débats pour soutenir de nouveaux projets. Ce contexte stressant est en même temps stimulant. Il nous force à nous réinventer et à nous surpasser chaque année. Il faut trouver les nouvelles excellentes histoires à raconter et de nouvelles manières originales de les raconter. »
Le contexte national a aussi muté pour stimuler la créativité. Les maisons de productions naviguent d’un écran à l’autre avec une poignée de grandes boîtes qui dominent le secteur des séries. La maison Keshet a des bureaux de Los Angeles à Hong Kong. On lui doit par exemple The Beauty and The Baker, sur un triangle amoureux, une des séries les plus populaires des dernières années.
Dans les années 1980 et 1990, une partie du budget de soutien étatique au cinéma allait aux salles pour réserver du temps d’écran aux productions nationales, et même pour payer une partie des coûts de climatisation. Une nouvelle loi adoptée en 2001 a changé de stratégie en haussant plutôt de manière substantielle les subventions à la production.
Et le miracle s’est produit. En 2014, Zero Motivation est devenu le premier film israélien le plus populaire de l’année au pays, surpassant même les films de super-héros américains. On saura fin décembre si Mossad établit un nouveau record.