La Cour de cassation vient de rejeter les pourvois des parties civiles accusant l’historien Georges Bensoussan d’incitation à la haine, confirmant sa relaxe. L’essayiste Barbara Lefebvre se félicite de cette décision, et pointe du doigt la judiciarisation des débats, obstacle selon elle à la liberté d’expression.
Le 17 septembre, ce n’est pas seulement l’honneur de l’historien Georges Bensoussan que la Cour de cassation a définitivement restauré, c’est notre liberté d’expression à tous qu’elle a raffermie. Les juges ont rendu son honneur à la démocratie. En rejetant les pourvois de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), la Cour de Cassation a confirmé la relaxe prononcée en faveur de Georges Bensoussan en première instance (procès du 25 janvier 2017) et en appel (le 29 mars 2018). C’est la Bérézina pour les ennemis de la liberté d’expression!
Rappelons succinctement les faits: dans l’émission de France Culture Répliques du 10 octobre 2015, lors d’un débat sur le «sens de la République», Georges Bensoussan aborde la question de l’antisémitisme contemporain auquel la France est confrontée. On rappellera le contexte de l’émission: nous étions quelques mois après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper-cacher de Vincennes, et il s’agissait aussi de revenir sur le fait que, depuis le début des années 2000, une dizaine de Français juifs avaient été assassinés par des meurtriers liant explicitement leur crime à la doctrine islamique.
Que ces derniers l’aient dévoyée ou non n’est pas le sujet: des innocents ont été ciblés et sont morts parce qu’ils étaient juifs, et pour aucune autre raison. Nous sommes donc face à un antijudaïsme idéologique qui puise ses racines dans une longue histoire, spécifique au monde musulman. Citant de mémoire les propos du sociologue Smaïn Laacher entendus dans un documentaire, Georges Bensoussan disait ainsi au micro de France Culture: «C’est une honte de maintenir ce tabou à savoir que dans les familles arabes en France, l’antisémitisme on le tète avec le lait de la mère».
Laacher, dans le film diffusé sur France 3, avait précisément déclaré: «Cet antisémitisme il est déjà proposé dans l’espace domestique et il est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue. Une des insultes des parents à leurs enfants quand ils veulent les réprimander, il suffit de les traiter de juifs. Toutes les familles arabes le savent. C’est une hypocrisie monumentale que de ne pas voir cet antisémitisme, il est d’abord domestique. Il est comme dans l’air qu’on respire». Ce n’est pas un sociologue français d’origine algérienne qui sera poursuivi pour «provocation publique à la discrimination et à la haine», mais un historien français, d’origines juive et marocaine…
Cette affaire aura duré plus de trois ans et révélé les ambiguïtés des professionnels de l’antiracisme. Le camp de la bien-pensance antiraciste (LICRA, SOS Racisme, LDH) s’est ainsi accroché à la locomotive du CCIF, association animée par des militants de l’islam politique. La LICRA en sortit profondément divisée, une large part de ses militants contestant la décision de la direction de poursuivre l’historien, décision prise sous l’influence de Mohamed Sifaoui, témoin contre Georges Bensoussan durant le procès qui tint des propos contradictoires que la présidente ne manqua pas de souligner. Quant à SOS Racisme, ils prirent acte de leur défaite en première instance, mais n’ont aucun regret de s’être assis aux côtés du CCIF. Aucune gêne peut-être quand une des témoins pour le CCIF compara Georges Bensoussan à Drumont, ni quand l’avocat de la LDH en appel évoqua «les propos pré-génocidaires» de l’historien. Rappelons que Georges Bensoussan était jusqu’en juin 2018 le directeur de la réputée Revue d’histoire de la Shoah…
Cette affaire a également illustré la dérive de certains magistrats idéologues. En effet, le Parquet a non seulement suivi les parties civiles pour initier les poursuites, a relevé appel du jugement de relaxe aux côtés du CCIF et de la LDH, mais il fallait entendre la sidérante plaidoirie en première instance du ministère public, un discours mêlant approximations historiques et anathèmes idéologiques.
Heureusement, au nom de l’intégrité et de l’intelligence démocratique, les juges du fond ont rappelé le droit et n’ont pas versé dans la morale de café du commerce. Pas une fois, mais à trois reprises, ils ont dit le droit par des attendus d’une clarté qui feront jurisprudence en matière de liberté d’expression. Cette douloureuse expérience pour Georges Bensoussan n’aura donc pas été vaine, même si le coût financier de telles procédures n’est pas anodin. C’est bien un des instruments de ces associations militantes que d’intimider leurs adversaires intellectuels par d’onéreuses procédures.
Cette affaire illustre, enfin et c’est le plus grave, le problème de la judiciarisation croissante du débat d’idées en France, sous l’effet d’une perversion de l’esprit démocratique. La loi ne doit pas être faite pour incriminer l’esprit critique mais pour le protéger. Or, depuis la loi Pleven de 1972 extrapolant sur la loi sur la presse de 1881, des groupes autoproclamés défenseurs de telle ou telle minorité – opprimée par principe – disposent du pouvoir de déclencher seuls l’action pénale. Ceux que Philippe Muray appelait les «groupes d’oppression» prouvent qu’il existe aujourd’hui une privatisation de l’action publique et que, le plus souvent, cela se fait au service de la censure. Il serait temps que le pouvoir politique prenne la mesure du danger démocratique que représente cette inflation de lois visant à réprimer les opinions «déviantes». D’abord parce que cela ne les fait pas disparaître de l’expression publique, ensuite parce qu’une démocratie est précisément ce régime de liberté qui s’oppose à la police de la pensée.
Par Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, est l’auteur de Génération j’ai le droit, (Albin Michel 2018).