Un roman désopilant sur les traces de deux jeunes conscrits fraîchement libérés de leurs obligations militaires en Israël, perdus dans la jungle new-yorkaise.
Joshua Cohen, jeune écrivain américain, nous entraîne dans une histoire drôle et implacable, au titre à coucher dehors. Après Le paradis des autres, et Votre message a été envoyé, le New-Yorkais récidive dans ce troisième roman traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphane Vanderhaeghe, et écrit comme une décharge de pistolet mitrailleur : David King s’occupe de tout (Ed. Grasset, sorti le 28 Août 2019).
L’histoire : David King est une sorte de looser juif new-yorkais à moitié mafieux, le genre de mari à tromper sa femme avec sa secrétaire, et à se faire prendre. Une vie en forme de ratage personnel, produisant une fille borderline, junkie, et pro-palestinienne, mais il place pourtant la famille au-dessus de tout le reste. Alors quand une cousine israélienne qu’il a dû voir deux fois dans sa vie (pour aller planquer son argent dans une banque de Tel Aviv à la suite de son divorce) lui demande de prendre en charge son fils Yoav à peine sorti du service militaire, il accepte par sens du devoir. Il va l’embaucher, ainsi que son compagnon d’unité Uri, comme déménageur dans l’entreprise qu’il a fondée, et qui se révèle être florissante après la crise des subprimes : « On était en 2008 : la pire année pour ne pas être propriétaire de sa maison en Amérique ; la meilleure année pour être propriétaire d’une entreprise américaine de déménagement. »
Un mélange fleuri de Yiddish et d’argot new-yorkais
Le titre original de l’ouvrage, Moving Kings (littéralement Déménagements King) ne prenait pas en compte l’étendue réelle des activités de son fondateur. Car l’entreprise de David King s’occupe vraiment de tout. A tel point que les deux camarades qui parlent un anglais déformé par l’hébreu ne font parfois plus trop la différence entre leurs anciennes activités dans les territoires occupés et leur nouveau métier d’expulseurs.
Dans une langue verte, aux accents d’argot yiddish d’Europe centrale mâtiné d’injures des bas-fonds du Queens, Joshua Cohen peint sans concession une ville incroyable qui n’échappe pas à la malédiction américaine de broyage des plus faibles, et qui pourtant fascine tous ceux qu’elle absorbe : « Staten Island n’était qu’une route coincée entre deux ponts et cette amère et poudreuse sensation qui lui raclait le gosier. On y arrivait par un tronçon tellement étroit et tassé que quand on quittait l’île on avait l’impression de flotter en grande pompe dans les airs, tous ces niveaux, toutes ces voies. Il prenait toujours le niveau supérieur et la voie qui donnait sur l’eau. Et il était en plein milieu de la baie en train de se moucher lorsque le ciel explosa. «
Quand l’humour frappe à découvert
Malgré la tragédie qui s’annonce, on rit presque à chaque page tant l’humour noir frappe à découvert, à propos des couples que l’entreprise King déménage par exemple : « Ils avaient tendance à emménager ensemble (à solliciter les services d’une équipe pour les deux membres), mais à déménager séparément (à solliciter les services d’une équipe pour chacun des deux membres)- moralité, faire sa vie avec quelqu’un, ça demandait plus de boulot ; la défaire, ça demandait plus de blé. » Ou encore, d’anciens copains soldats qui font le tour du monde : « Quand à Moty et Dani, ils devaient être à bord d’un train en direction de Buchenwald ou Dachau, mais pour une visite guidée- autrement dit ils devaient eux aussi être déjà bourrés ou avoir la gueule de bois. «
Né en 1980 dans le New Jersey, Joshua Cohen a grandi à Altantic City, une ville plutôt connue pour ses casinos que pour ses librairies. Ce jeune auteur pétri de littérature juive et d’influences européennes, nous gratifie d’une écriture aux multiples trouvailles qui détonne par son inventivité continue, souvent grinçante, mais toujours hilarante.
David King s’occupe de tout, roman traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphane Vanderbaeghe, Editions Grasset, 2019, 336 pages, 20,90€.
Extrait : « Serpentins, pétillements, éclats et pétarades. D’énormes artères de lumière déchirèrent la nuit, éclats de veines et vaisseaux capillaires gigantesques. Le plus frappant dans les feux d’artifice, c’est le degré d’attente qu’ils suscitent. Impossible de savoir quand le spectacle est bien fini. Une reprise surgissait, entraînant un pic de coruscation mouché par des vapeurs en pointillés ; alors tu te disais ça y est, voilà le bouquet final sauf qu’ensuite un sifflement perçait ; alors tu te disais patience, la fin reste à venir. En un sens c’était comme vieillir. Ou attendre la mort. «