Nées en Alsace en 1995, les Journées européennes de la culture juive ont peu à peu essaimé à travers toute l’Europe. Elles ont pris de l’ampleur, passant d’un seul dimanche à trois week-ends. Petit aperçu d’un programme très riche en Alsace du nord.
Il y a 24 ans, la première Journée de la culture juive voyait le jour en Alsace. Quatre années plus tard, en 1999, une association organisait déjà cet événement à travers toute l’Europe, et le succès ne s’est jamais démenti. L’objectif de ces Journées européennes de la culture juive est double : combattre l’oubli, face à la disparition des communautés juives dans une grande partie de l’Europe. Et redonner sa place au patrimoine matériel et immatériel constitué par le judaïsme européen au cours des siècles. En Alsace aussi, il reste encore de nombreux lieux et traditions à redécouvrir. Des cimetières juifs refont surface, grâce à la ténacité de particuliers ou de petites associations locales, des synagogues sont préservées coûte que coûte, et des traces d’une ancienne présence juive dans les villages sont expliquées à un public qui, sans cela, n’arriverait plus à les reconnaître.
Le cimetière de Reine, à Trimbach
Depuis qu’elle a redécouvert ce cimetière, en 2007, Reine Biri y retourne très régulièrement. « Un jour, en hiver, j’ai retrouvé ce cimetière, sous la neige. » Cette enseignante de musique en a encore les yeux brillants. Elle-même n’est pas juive, mais passionnée de patrimoine, et préoccupée par le « devoir de mémoire ». Alors, quand elle a entendu parler d‘un petit cimetière oublié, quelque part entre les villages de Trimbach et de Buhl, elle s’est mise à sa recherche. Il lui a fallu six mois à le retrouver, en retrait de la route, envahi par la végétation. Elle a immédiatement tiré la sonnette d’alarme auprès des élus et du consistoire israélite. Le nettoyage s’est organisé, des arbres ont été enlevés, « et on a retrouvé d’autres tombes ». Aujourd’hui, près de 600 pierres tombales sont redevenues visibles, dont les plus anciennes remontent au 18e siècle. Reine elle-même revient souvent pour désherber et écarter le lierre qui cache les inscriptions, afin de « voir qui repose ici, et retrouver des éléments biographiques de cette personne. »
Avide d’en apprendre davantage, elle a fait des recherches, et découvert que le cimetière avait été créé sur un terrain acheté en 1738 par un certain Eli Scheidt, qui l’a agrandi par la suite. La majeure partie des tombes datent du 19e siècle, dont une centaine, à l’extrémité du terrain, volontairement laissées sous le couvert des arbres. « Dans cette partie, nous avons conservé la végétation, pour montrer de quoi le cimetière avait l’air quand je l’ai retrouvé il y a douze ans« , explique Reine Biri.
Près de 240 juifs vivaient à Trimbach, au milieu du 19e siècle, soit près d’un tiers de la population. Ils étaient bien plus nombreux que les 70 protestants du village. Ils reposent dans ce cimetière, à côté de juifs de Niederroedern, Seebach « et même de Colmar ». Reine est fière de certaines tombes remarquables, dont celle d’un rabbin, et celle d’une femme décédée en 1856, Jeannette Scheinel Weill, honorée par le « prix Monthyon« , car bonne épouse, bonne mère, elle fut la providence du pauvre. »
Durant toute l’année, et pas seulement lors des Journées européennes, Reine Biri se fait un plaisir de proposer des visites guidées « en français, allemand, anglais ou italien ». Il suffit de la contacter pour prendre rendez-vous. Parmi ses visiteurs, elle a eu la « belle surprise » de rencontrer des Américains qui ont pu retrouver ici leurs ancêtres.
En poursuivant ses recherches, elle a aussi découvert que quinze juifs de Trimbach sont morts à Auschwitz durant la Seconde guerre mondiale. Son prochain souhait serait de voir, dans le cimetière, une plaque à leur mémoire, puisqu’ils n’ont pas pu y être enterrés.
La synagogue de Woerth à rénover
Autre lieu cher à Reine Biri : la petite synagogue de Woerth, à 20km de là. Construit en 1920, le bâtiment n’est plus utilisé, car la communauté juive a disparu. Mais Claude Sichel, dernier juif de la commune, s’efforce de l’entretenir. « Le problème est l’état du toit, des gouttières et de la peinture », confie-t-il. Pour aider à contribuer au montant des travaux, estimés à 20 000 euros, Reine Biri organise un concert en l’église protestante de Woerth, dimanche 15 septembre à 16h30, dont les bénéfices sont destinés à la synagogue. En parallèle, cette dernière sera ouverte au public ce même dimanche de 14h à 16h.
Oberbronn, de nombreuses traces d’une présence juive
La commune d’Oberbronn a elle aussi un petit cimetière juif. Aujourd’hui bien visible en bordure de route, il avait été totalement oublié sous les ronces entre la Seconde guerre mondiale et la fin des années 1970. Plus récent que celui de Trimbach, il a été créé en 1814. Auparavant, comme beaucoup d’autres, les juifs d’Oberbronn devaient être enterrés à Ettendorf, à 20km de là.
169 stèles de grès sont encore visibles, d’autres ont disparu. Beaucoup portent des inscriptions en hébreu et en français, même celles datant d’après 1870, période où l’Alsace était allemande. Preuve émouvante de la francophilie de la communauté juive alsacienne après la Révolution, depuis qu’en 1791, les juifs ont obtenu la pleine égalité des droits.
De nombreuses pierres tombales portent aussi des stigmates de la dernière guerre, trous de balles ou d’obus. Car le cimetière a d’abord servi de cache d’armes pour les partisans, puis de lieu de combat lorsque les Alliés ont libéré le village en mars 1945.
La présence juive à Oberbronn est attestée depuis le 16e siècle. De nombreuses maisons en portent encore la trace : miqveh (bain rituel) dans une maison privée, inscription en hébreu sur le linteau d’une porte de cave, et petites cavités à côté de plusieurs portes d’entrée, indiquant qu’il y avait là une mezouzah, « un petit parchemin enroulé sur lequel étaient inscrits des versets de bénédiction pour les personnes qui entraient et sortaient », précise Raymond Levy, président de l’association Ashern (Amis des sites hébraïques des environs de Reichshoffen et Niederbronn) qui s’efforce de promouvoir le patrimoine juif des environs de Niederbronn et Reichshoffen.
Trois synagogues successives
Au fil des siècles, Oberbronn a connu trois synagogues successives. L’emplacement de l’une d’elles reste incertain. Une autre, une petite maison d’habitation à colombages au cœur du village, est bien identifiable « grâce à deux formes arrondies au niveau du premier étage » explique Raymond Levy. A l’origine, ces deux cercles, évidés, renfermaient des vitraux colorés. « Et les habitants m’ont dit qu’entre les deux fenêtres, il reste une armoire sur une estrade, ce qui correspondrait à l’armoire sainte qui renfermait la torah. »
Vers le milieu du 19e siècle, la communauté juive d’Oberbronn comptait près de 200 membres sur 1.300 habitants. A cette époque une nouvelle synagogue a été construite, à l’emplacement de l’actuelle poste. Mais bientôt, la communauté juive a décliné, car ses membres préféraient aller vivre en ville. Cette nouvelle synagogue a été désacralisée dès 1924. Elle a servi de menuiserie, puis de salle de réunion aux nazis durant la guerre, avant d’être bombardée par les Alliés au moment de la Libération. Le dernier représentant de la communauté juive d’Oberbronn est mort à Auschwitz en 1944.