En visite cette semaine en Suisse, le ministre Israel Katz avait un programme chargé. Au menu: la fin des poursuites contre les officiels israéliens et la disparition de l’office dirigé par le Suisse Pierre Krähenbühl.
Ce diplomate israélien a le sens de la formule. «Avec nos vrais amis, nous pouvons nous permettre d’aborder les vraies questions», note-t-il. Côté suisse, la visite en début de semaine du chef de la diplomatie israélienne, Israel Katz, n’a donné lieu qu’à un communiqué incolore: les deux pays, 70 ans après la reconnaissance de l’Etat d’Israël par la Suisse, ont célébré «leur étroite collaboration» dans le domaine scientifique ainsi que leur goût commun pour l’innovation et le high-tech, a fait savoir le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
Côté israélien, pourtant, les «vraies» questions figurant à l’agenda n’ont pas tardé à être révélées, à travers la presse ou par le ministre Katz lui-même. D’une part, mettre un terme aux menaces d’arrestation qui pèsent sur des hommes d’Etat ou des officiers israéliens lors de leurs séjours en Suisse. D’autre part, faire purement et simplement disparaître l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens, actuellement dirigée par le Suisse Pierre Krähenbühl.
Le problème de la «compétence universelle»
Au cœur de l’été, l’affaire était passée presque inaperçue il y a quelques semaines: alors qu’il devait se rendre pour affaires à Zurich, l’ancien premier ministre Ehoud Olmert a été convaincu in extremis de renoncer à son voyage. Le motif? L’Israélien craignait d’être interrogé, voire arrêté par la justice suisse pour son rôle joué lors des opérations militaires menées par Israël contre Gaza entre 2008 et 2009, qui ont coûté la vie à quelque 1400 Palestiniens. Selon la version d’Ehoud Olmert lui-même, ce seraient les autorités helvétiques qui l’auraient mis en garde contre les risques d’une interpellation en Suisse, dans le cadre de possibles crimes de guerre.
Interrogés par Le Temps, aussi bien le DFAE que le Ministère public nient catégoriquement cette version. Personne, à Berne ou à l’ambassade de Suisse de Tel-Aviv, ne serait entré en contact avec l’ancien responsable ou avec ses proches, afin de le prévenir. Au fond, cela n’était peut-être pas nécessaire: deux années plus tôt, en mai 2017, c’est une ancienne ministre israélienne, Tzipi Livni, qui était venue passer quelques jours en Suisse. Une association pro-palestinienne, Collectif Urgence Palestine, avait alors déposé une plainte contre elle. Or, dans sa réponse, le Ministère public de la Confédération avait conclu que les faits reprochés à l’ancienne ministre pouvaient effectivement «constituer des crimes qui sont du ressort de la juridiction fédérale». Dans l’intervalle, Tzipi Livni avait quitté la Suisse, rendant toute poursuite impossible. Mais dans la plainte, à côté de son nom, figuraient aussi ceux de divers autres responsables israéliens, dont celui d’Ehoud Olmert.
Voilà des années que l’Etat d’Israël tente de se mettre à l’abri face à de telles velléités de «compétence universelle» affichées par différents Etats. A tel point que son Ministère de la justice dispose d’un bureau dédié à ces questions, qui a été nommé «Département des affaires internationales spéciales». Lors de sa récente visite en Suisse, Israel Katz était ainsi accompagné d’un membre de ce bureau, afin de convaincre la Suisse de «trouver une solution urgente» en la matière, c’est-à-dire de changer sa législation ou, du moins, de ne pas l’appliquer.
Trouver «des alternatives à l’UNRWA»
L’autre «vraie question» que souhaitait aborder le ministre Israel Katz avec le conseiller fédéral Ignazio Cassis était plus brûlante encore. Selon les mots de l’Israélien, la Suisse et Israël seraient ainsi convenus de «travailler ensemble» afin de «trouver des alternatives» à l’UNRWA, l’office de l’ONU qui œuvre pour les réfugiés palestiniens. Israel Katz n’a pas été en peine à l’heure de souligner sa similitude de vues sur la question avec son collègue suisse. Rentrant d’un voyage dans la région, l’année dernière, Ignazio Cassis avait publiquement estimé que l’UNRWA faisait désormais «partie du problème plutôt que de la solution». «En soutenant l’UNRWA, nous gardons le conflit vivant, c’est une logique perverse», expliquait-il.
Israel Katz a donc pris son collègue au mot et l’a pratiquement désigné comme allié pour dynamiter l’UNRWA. A peine nommé, le ministre israélien avait d’ailleurs chargé ses services de réfléchir aux moyens de faire disparaître cette organisation. L’administration de Donald Trump, qui a cessé sa contribution annuelle de 360 millions de dollars, a chargé un comité du Conseil national de sécurité de procéder au même exercice. Plusieurs secteurs israéliens, dont l’armée, se méfient d’une «solution» américaine trop radicale, qui finirait de rendre totalement explosive la question palestinienne. Mais les attaques de Donald Trump contre l’UNRWA ont au moins un fan inconditionnel: Israel Katz qui, à l’époque encore ministre des Transports, se félicitait de l’estocade portée selon lui par les Américains au «droit au retour» des réfugiés palestiniens.
Pour Berne, la situation est d’autant plus délicate que le commissaire général de l’UNRWA, le Suisse Pierre Krähenbühl, a été vivement mis en cause par une enquête interne de l’organisation. Cet été a vu la sortie d’un rapport interne très critique sur l’agence onusienne et son chef, le Suisse Pierre Krähenbühl. Parmi les accusations figurent celles «d’agissements à caractère sexuel inappropriés, népotisme, représailles, discriminations et autres abus d’autorité, (commis) à des fins personnelles, pour réprimer des divergences d’opinion légitimes». Dans l’attente d’une enquête définitive, la Suisse a aussi été le premier Etat à décider de geler toute contribution future à l’UNRWA.