Des familles entières de la communauté juive orthodoxe de Brooklyn ont saisi l’opportunité offerte par la firme de faire coïncider religion et business.
Habits stricts, rigueur religieuse, dédain pour la technologie: les clichés collent aux descriptions de la communauté juive orthodoxe, notamment américaine. Cette conception est erronée, note Buzzfeed dans un excellent article décrivant comment ce groupe a vu sa vie transformée par la marketplace d’Amazon.
Certes, l’influent rabin orthodoxe Moses Sofer a déclaré au XIXè siècle que «la nouveauté était contraire à la Torah». Certes, rappelle également le site, plus de 40.000 membres de cette communauté orthodoxe se sont réuni·es en 2012 dans un stade new-yorkais pour hurler leur haine de l’internet, présenté comme un risque vital majeur.
Pourtant, nombre de personnes qui appartiennent à cette communauté religieuse sont aussi férues de technologie qu’elles le sont du respect et de la droiture qui vont avec leurs obligations religieuses, et qui essaient d’inventer un équilibre entre les contingences séculaires et celles de l’étude fiévreuse de la Torah et du Talmud.
Brooklyn, capitale d’Amazon
C’est dans la marketplace d’Amazon que nombre d’entre elles ont trouvé les moyens d’établir cet équilibre. Selon les chiffres officiels fournis aux autorités américaines par la firme, 58% des ventes effectuées sur le site sont opérées par des vendeurs tiers. Les business tenus par des membres de groupes juifs orthodoxes représenteraient, selon des chiffres moins officiels, 15% de la marketplace.
Plus remarquable encore, à en croire des spécialistes, 7% de toutes les transactions effectuées par les third pary sellers ont pour origine un unique code postal, situé à Brooklyn, où vit une très importante communauté juive orthodoxe –laquelle s’est massivement emparée de l’opportunité que représente un coût d’entrée très bas sur un marché du e-commerce alors en pleine expansion.
Nul besoin d’avoir fait de hautes études dans des institutions classiques. Se pencher sur le Talmud, explique Moshe Krakowski de la Yeshiva University, sert d’excellent apprentissage pour se lancer dans des activités qui débouchent sur des gains sonnants et trébuchants.
Traditionnellement, nombre d’hommes juifs orthodoxes passent leur existence courbés sur les textes religieux, faisant dépendre la survie de leur famille de la rémunération de leurs femmes, de l’aide sociale ou de celle de la communauté.
Dans les foyers juifs orthodoxes de la ville, le taux de pauvreté atteignait 28% en 2011, selon l’UJA Federation de New York. Amazon a bouleversé le quotidien de nombre de ces familles pieuses sans remettre en cause la foi ni les règles qui ponctuent leurs journées. Une plaisanterie circule dans ces cercles au sujet du nom de la firme, am signifiant nation et mazon nourrir.
Dans l’État de New York à Brooklyn ou dans celui du New Jersey à Lakewood, des dizaines de structures se sont montées, souvent centrées sur quelques produits ou marques de niche. Elles ont pris de l’ampleur, quittant les appartements ou maisons personnelles pour investir des entrepôts massifs en embauchant, au passage, de nombreuses personnes de la communauté. Au fil des années, ces business sont devenus des acteurs majeurs de la marketplace Amazon.
Adaptées à leurs obligations religieuses, des conférences sont organisées pour former des milliers de membres qui se destinent à la vente aux subtilités du e-commerce. Des cabinets de conseil se créent pour les épauler. C’est tout un écosystème que la firme de Seattle a façonné autour de sa gargantuesque e-place de marché.
Ruée vers l’e-or
«C’est comme la ruée vers l’or dans les années 1840», explique le rabbin Yehoshua Werde, qui a organisé en juillet 2019 une conférence sur la question qui a réuni plus de 600 personnes issues de la communauté juive orthodoxe.
Amazon a également offert à certaines femmes, même si elles ne sont qu’une poignée, l’opportunité de passer de pourvoyeuses du budget du foyer à dirigeantes de leur propre entreprise, petite ou grosse.
Les affaires tournent bien mais peuvent à l’occasion voir leurs rouages perturbés par les obligations religieuses. Yisroel, l’un des e-commerçants juifs orthodoxes auxquels Buzzfeed consacre son article, explique ainsi avoir perdu gros lors de Pessa’h.
L’interdiction religieuse de posséder (donc de vendre) du pain ou des biscuits lors de la Pâques juive a obligé le commerçant à se défaire de l’intégralité de son stock, ce que n’a pas apprécié l’algorithme d’Amazon –il explique avoir mis deux mois à remettre son ranking d’aplomb.
Même scénario lors d’un shabbat, à quelques minutes duquel il a reçu une notification lui indiquant la fermeture de son compte pour une supposée manipulation des avis publiés par sa clientèle. Il n’a pas tremblé, a respecté ses obligations, n’a pas touché son ordinateur puis est allé à la synagogue, comme il le fait chaque samedi.
Ce week-end là, Yisroel a perdu 70.000 dollars (63.000 euros) mais n’en a eu cure. La mésaventure était inscrite dans les plans de Dieu, le grand orchestrateur, plutôt que dans ceux de la firme –les deux, finalement, avancent main dans la main.