Provocants et violents, les écrits et les dessins antisémites de l’auteur s’inscrivent dans le courant post-négationniste apparu dans les années 1980, explique l’historienne dans une tribune au « Monde ».
Le négationnisme apparaît en France en 1948 et devient peu à peu un élément central du nouvel antisémitisme d’après-guerre, notamment sous l’impulsion de Robert Faurisson. La diffusion de ces idées est telle que l’Etat français adopte en 1990 la loi Gayssot. De sorte que, lorsque Yann Moix publie ses dessins et ses textes dans sa publication Ushoahia en 1989-1990, le négationnisme est déjà clairement identifié et combattu.
Cela ne l’empêche pas d’user abondamment de cette propagande. Il qualifie Bernard-Henri Lévy de « youpin dont le crâne n’a hélas pas été rasé par les amis d’Adolf ». Il affirme que « chacun sait (…) que les camps de concentration n’ont jamais existé ». On peut également lire ceci : « Quel est (…) le stratagème ignominieux, puisque l’on ne retrouve pas le corps des morts ? Elémentaire : on compte les pyjamas qui ne sont pas portés par les prisonniers retrouvés vivants ! Comment des gouvernements ont-ils pu se laisser berner par un mensonge aussi éhonté ? »
La sémantique baigne dans l’antisémitisme, le négationnisme et le complotisme. Elle recycle les stéréotypes classiques de la propagande antijuive. Ce négationnisme désinhibé s’emploie à imposer une vision démoniaque du monde contemporain. Il peut être mis en parallèle avec le « post-révisionnisme ». Ce courant, apparu à la fin des années 1980, est incarné par l’antisémite forcené Alain Guionnet, qui crée notamment le journal Revision. Il se distingue du discours faurissonien qui, lui, reposerait sur une démarche scientifique, affranchie de toute motivation politique.
« Holocause toujours, tu m’intéresses… »
Comme Moix, Guionnet abandonne toute précaution. Il exhibe un antisémitisme outrancier et provocateur. Le « post-révisionnisme » se consacre à « prouver »l’emprise juive sur le monde moderne tout en renouvelant le thème de la« conspiration juive mondiale ». Cette mainmise trouverait ses origines au début de l’histoire et son apogée avec le « mensonge du XXe siècle ». Révision inaugure la publication des Protocoles des Sages de Sion par « épisodes ». Les thèmes puisés dans ce « classique » recèlent les soubassements du discours négationniste. « Il n’y a pas eu de génocide des juifs et il y a bien eu arnaque, voilà tout. (…)Maintenant on connaît la chanson : “Holocause toujours, tu m’intéresses… Plus tu pleures, plus je crains… Plus tu palpes, plus je craque” », peut-on lire au gré des pages du « seul journal antijuif » et post-révisionniste. Ce type d’écrits – du même acabit que ceux d’Ushoahia – paraissent alors dans des publications marginales.
Le passé de Yann Moix ressurgit aujourd’hui. En vieillissant, le romancier lie des amitiés dans les milieux antisémites. Il appose son nom au bas de la « Pétition pour l’abrogation de la loi Gayssot et la libération de Vincent Reynouard », publiée en 2010 et lancée par Paul-Eric-Blanrue, un des proches de Robert Faurisson. Yann Moix côtoie là en très grande majorité des personnes évoluant dans la mouvance négationniste et conspirationniste. Il retire rapidement sa signature, invoquant qu’il ignorait que le nom de Faurisson apparaîtrait dans la liste des signataires.
Il n’en reste pas moins que signer un texte sur lequel figure le nom Reynouard n’est pas anodin. Ancien membre du Parti nationaliste français et européen, cet homme n’a jamais caché son admiration pour le national-socialisme, dans lequel il voit un « immense complexe intellectuel où l’économie, les arts, les sciences (exotériques et ésotériques), le social, l’hygiène de vie avaient leur place ». Cet ingénieur de formation est le premier enseignant révoqué de l’éducation nationale pour cause de négationnisme en 1997. Auteur de plusieurs écrits et vidéos négationnistes, il a été condamné et emprisonné plusieurs fois pour apologie de crimes de guerre et contestation de crimes contre l’humanité. Invité d’honneur au banquet des 60 ans du journal d’extrême droite Rivarol, le 21 mai 2011, Vincent Reynouard y déclare doctement : « Vous me traitez de néonazi. Et moi, je vous dis : “pourquoi néo ?” Point final. C’est tout. Y’a rien d’autre à dire. »
Opération de réhabilitation
Yann Moix a également noué une amitié avec Paul-Eric Blanrue, l’initiateur de la rencontre entre Dieudonné M’Bala M’Bala et Robert Faurisson… à l’origine de la renaissance médiatique du négationniste français au début des années 2000. Cet ancien directeur du Bulletin légitimiste (une publication d’information royaliste de Lorraine), un temps adhérent au FN en Moselle puis converti à l’islam, s’est affiché à Téhéran en février 2011 en compagnie notamment de Dieudonné et de Thierry Meyssan. Dans son essai Sécession. L’art de désobéir (Fiat Lux, 2018), il évoque en ces termes Yann Moix : « Un ami (très) intime » depuis le début des années 2000 qui aurait, selon lui, signé ce texte « en connaissance de cause ».
Sur le plateau de Laurent Ruquier [« On n’est pas couché » du 31 août, sur France 2], Yann Moix a demandé « pardon pour ces bandes dessinées » [sic]. Il s’est également posé en victime d’un complot de l’extrême droite. A l’issue de l’émission, plusieurs critiques paraissent, notamment sur les réseaux sociaux, pour pointer et blâmer ce qui, pour certains, confine à l’opération de réhabilitation.
Quoi qu’il en soit, les écrits et les dessins de l’auteur – qui vient d’annoncer mettre un terme à la promotion de son dernier livre – dans Ushoahiarestent. Il arrive que des hommes ayant participé à cette histoire du négationnisme reviennent sur leur engagement en faisant preuve d’une autocritique plus ou moins convaincante. La plupart du temps, ils en sont contraints ; leur passé antisémite ayant été révélé à leur insu.
Depuis quelques années, des interventions de Yann Moix sont marquées par un certain philosémitisme. En même temps, sa ligne de conduite prête plus qu’à confusion. Après avoir nié être l’auteur des textes paru dans Ushoahia, Yann Moix déclare aujourd’hui en assumer la responsabilité, tout en rapportant cet épisode à une sorte d’erreur de jeunesse (Libération, 28 août 2019). Pourquoi avoir, depuis lors, continué de cheminer aux côtés de compagnons de route du négationnisme ?
Valérie Igounet est historienne, spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite en France.
Le président de l’Académie Goncourt, Bernard Pivot, explique pourquoi « Orléans », le dernier livre de Yann Moix, n’a pas été retenu dans la liste du prix Goncourt 2019.
Le nouveau livre de Yann Moix, Orléans, n’a pas été retenu pour concourir pour le prix Goncourt. Bernard Pivot, le président de l’Académie, explique sur RTL, pourquoi l’ouvrage de l’écrivain n’a pas été sélectionné.
« Il y a trois raisons, la première raison elle est littéraire, quelques-uns de mes camarades ont trouvé que la deuxième partie était nettement moins bonne que la première qui raconte les tortures qu’il aurait subies dans la maison familiale », confie Bernard Pivot.
Le président de l’Académie poursuit : « La deuxième raison est que ce livre déclenche une polémique familiale et l’académie Goncourt n’aime pas trop lorsqu’un livre est contesté par le père, contesté par le frère. La troisième raison qui a été évoquée par l’un d’entre nous, c’est que si on le met sur la liste des Goncourt, fatalement tous les réseaux sociaux vont nous accuser de faire la promotion de l’antisémitismeà travers un antisémite ».