Le financier américain a été retrouvé samedi pendu dans sa cellule, alors que son procès pour traite sexuel et impliquant de nombreuses personnalités devait s’ouvrir dans plusieurs mois.
Aussitôt son décès annoncé, le mot-clé #EpsteinMurder (« assassinat d’Epstein ») a fleuri sur les réseaux sociaux. Le financier américain Jeffrey Epstein a été retrouvé pendu dans sa cellule , ce samedi à Manhattan. Alors que le FBI a ouvert une enquête concernant un « suicide apparent », de nombreuses personnes émettent publiquement des interrogations sur les conditions de cette disparition.
C’est notamment le cas de responsables officiels, comme l’élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez. « Il nous faut des réponses. Beaucoup », a-t-elle tweeté. « La mort de M. Epstein soulève des questions graves auxquelles il faudra répondre », a lui aussi indiqué le ministre américain de la Justice.
We need answers. Lots of them.https://t.co/4DMckiZnVB
— Alexandria Ocasio-Cortez (@AOC) August 10, 2019
D’autres y vont de leur question rhétorique – par exemple, « comme par hasard ? » – ou élaborent clairement pourquoi et comment Epstein a été tué.
Encore un autre suicide qui tombe à pic !#EpsteinMurder https://t.co/suBWZf8VwG
— La Révoltée 🤜💥🤛 (@RevolteRevoltee) August 11, 2019
Pour comprendre pourquoi ces interrogations sont si partagées, il faut d’abord rappeler l’origine de cette affaire, qui implique de très nombreuses personnalités. Jeffrey Epstein, homme d’affaires âgé de 66 ans, est accusé d’avoir mis en place un réseau de traite sexuelle de dizaines de jeunes filles, entre 2002 et 2005 au minimum.
Dans plusieurs de ses résidences, il aurait abusé d’elles, tout en entretenant des liens d’amitié avec de nombreuses personnalités : Donald Trump, Bill Clinton, le prince d’Angleterre Andrew, le milliardaire Leslie Wexner, etc. Certaines d’entre elles – mais pas l’actuel ni l’ancien présidents américains – auraient aussi eu des relations sexuelles avec des jeunes filles, à la demande d’Epstein.
« C’est le cœur nucléaire de la fantasmagorie »
Du coup, sa mort renforce le sentiment que ces personnalités potentiellement impliquées ont voulu se protéger. « C’est un cocktail explosif avec les tous les ingrédients pouvant exciter la complosphère : des milliardaires, des politiques de premier plan, en gros les puissants du monde, et des soirées orgiaques. C’est le cœur nucléaire de la fantasmagorie », souligne Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’université Paris-Diderot et spécialiste du numérique, interrogé par le Parisien.
L’affaire Epstein a aussi ceci de particulier qu’elle « arrange les deux camps, les pro-Trump comme les anti-Trump », souligne Rudy Reichstadt, fondateur de l’observatoire du complotisme Conspiracy Watch. Chacun peut y voir des raisons justifiant un assassinat. Certains estiment à l’inverse qu’Epstein n’est pas réellement mort, pointant par exemple que « les oreilles, le nez et les joues » sur les photos à l’hôpital ne seraient pas les siennes.
Les opposants au président américain peuvent se rappeler que l‘affaire a déjà coûté son poste au ministre du Travail de Trump, Alexander Acosta. Ce dernier avait dû démissionner le 12 juillet dernier, après la polémique concernant un accord aux conditions très favorables et signé en 2008 avec Epstein. En face, « les partisans de Donald Trump sont persuadés que ça va éclabousser le clan Clinton », note Rudy Reichstadt.
Le « Pizzagate », une théorie du complot concernant un supposé réseau pédophile au sein de l’équipe de campagne d’Hillary Clinton en 2016, avait fragilisé la candidate démocrate. « Mais ça ne concernait que le clan Clinton. Là, ça met potentiellement en cause un réseau international », souligne Tristan Mendès France.
La troublante fin de surveillance spéciale
Comme toute théorie en apparence complotiste, celle d’un assassinat d’Epstein s’appuie aussi sur des faits bien réels. Et certains sont particulièrement troublants dans ce « suicide apparent », pour reprendre les termes du FBI. Un exemple ? Le fait que la surveillance spéciale dont « bénéficiait » l’homme d’affaires après avoir été retrouvé blessé dans sa cellule , le 23 juillet, ait été levée quelques jours plus tard. Les autorités n’ont pas été pour le moment en mesure d’expliquer cette décision . « Il y a des questions qui vont être évidemment être posées, je ne vois pas les autorités ne pas faire d’enquête interne. Mais tant que les faits ne sont pas établis, on est susceptible de tomber dans des délires », estime Tristan Mendès France.
Aucun élément ne vient d’ailleurs, pour le moment, matérialiser la thèse de l’assassinat. C’est tout l’objet de l’enquête du FBI. Mais même si les autorités concluent, après investigations, au suicide d’Epstein, « ça n’éteindra pas les théories », estime Rudy Reichstadt. « Pour beaucoup, Epstein a été assassiné et éliminé politiquement. C’est toute la contradiction logique des complotistes : ils passent sous silence les informations qui ne vont pas dans le sens de leurs thèses, ou considèrent que c’est un enfumage », souligne ce spécialiste du conspirationnisme. Plus tranché, Tristan Mendès France estime que « l’assassinat d’Epstein restera dans la fantasmagorie au moins comme l’équivalent des théories complotistes sur le 11 septembre ».
Quant à Epstein, qui risquait 45 ans de prison, sa mort risque de priver les femmes victimes d’un procès. Seul le volet judiciaire pour « association de malfaiteurs » pourrait rester ouvert.