Depuis des décennies, des membres de la communauté juive orthodoxe passent leurs vacances d’été dans les Alpes françaises. Cette saison, ils seront environ trois mille à se ressourcer dans des établissements qui ont été privatisés.
A l’Alpe d’Huez, à Tignes, aux Ménuires ou à la Plagne, c’est partout la même curiosité. Les touristes de passage, sandwich à la main, finissent par s’arrêter devant ces jeunes filles qui s’aventurent sur des paddles en longues jupes noires et gilets de sauvetage flashy. Ils stoppent net pour laisser passer un groupe de barbus en VTT, dont les casques laissent échapper des papillotes sautillantes. Comme beaucoup, ils découvrent que c’est dans les Alpes françaises, depuis des décennies, que la communauté juive orthodoxe prend ses quartiers d’été, profitant de stations largement vidées de leurs vacanciers.
Un engouement qui se confirme : cette saison, ils seront environ trois mille à venir se ressourcer en Savoie et en Haute-Savoie. « L’été, les religieux ne peuvent pas aller à la plage, pour des raisons de pudeur : ils ne peuvent pas côtoyer des femmes en maillot de bain. Donc la montagne est une solution de repli idéale »,explique Yossi Ghebali, à la tête de Royal Dream. Comme une dizaine d’autres associations ou tour-opérateurs, la société organise des « vacances casher » dans les Alpes.
Ecole talmudique
L’origine de cet intérêt pour les sommets savoyards n’est pas établie. « En 1943, Megève puis Saint-Gervais ont recueilli plus d’un millier de juifs qui avaient été assignés à résidence par les Italiens, qui occupaient le territoire depuis novembre 1942, assure l’historien local Gabriel Grandjacques. Jusqu’à l’arrivée des Allemands, en septembre 1943, les juifs ont vécu dans une espèce de “paradis autogéré” en Haute-Savoie. » Pour d’autres, c’est la proximité d’Aix-les-Bains et de sa commune voisine Tresserve, où est situé un centre juif orthodoxe, internationalement réputé grâce aux enseignements dispensés à l’école talmudique, qui font la renommée des Alpes dans les milieux orthodoxes.
La publicité de ces séjours ne passe que par la presse communautaire, mais elle suffit à garantir, cette saison encore, la privatisation d’une quinzaine d’hôtels ou de résidences dans les Alpes. « Les juifs orthodoxes représentent environ 20 % de la population touristique totale de la station au mois d’août », se réjouit François Badjily, le directeur de l’office du tourisme de l’Alpe d’Huez.
C’est pour cette clientèle que Royal Dream a privatisé, du 28 juillet au 28 août, l’Hôtel Belambra Club Le Terra Nova de La Plagne. « 60 % de nos clients viennent d’Angleterre ou de Belgique, et sont très pratiquants. Ils veulent se protéger du contact avec l’extérieur », précise le voyagiste. Ce dernier profite donc de la basse saison dans les stations alpines pour négocier avec les propriétaires de résidences ou d’hôtels, en entrée ou milieu de gamme, afin qu’ils lui accordent « une gestion libre à 100 % » de leurs établissements.
C’est à cette condition qu’il peut garantir à ses clients des vacances conformes à la règle juive la plus drastique, qui commence par la cashérisation des cuisines. Après un grand nettoyage, tout le matériel en métal est soumis à la pyrolyse. Ensuite, « on fait venir de Paris la nourriture casher, ainsi que l’équipe de ménage, les traiteurs, les animateurs, les serveurs… », détaille l’organisateur. « Un rabbin ou, au minimum, un surveillant rituel assermenté par les autorités communautaires, est présent sur place durant tout le séjour pour garantir la casherout »,ajoute Gregory Harrous, de voyagercacher.com.
Une salle est généralement dédiée aux offices religieux. Et si l’hôtel dispose d’une piscine, des créneaux horaires régissent son utilisation par les hommes et par les femmes. Pendant le shabbat, les ascenseurs, les portes magnétiques et les éclairages automatiques dans les couloirs sont désactivés. Pour le reste, l’ambiance varie selon le degré de pratique de la clientèle. Les communautés les plus religieuses, les hassidim ou les loubavitch (dont beaucoup viennent d’Israël), se déplacent en famille et en groupe de 50 à 100 personnes, avec leur propre rabbin. Les hommes prient, étudient, assistent à des conférences, pendant que les femmes et les enfants profitent des animations.
Laser games
A l’office du tourisme de l’Alpe d’Huez, le directeur note juste que l’« arrivée massive de familles orthodoxes, têtes couvertes et vêtues de noir, ça impressionne. Il y a des gens que ça heurte, surtout parmi les touristes. Les locaux, eux, sont habitués ».
A La Rosière, où l’agence MyTour a privatisé l’hôtel 4 étoiles Hyatt Centric, on attend au mois d’août une clientèle plus huppée, « qui choisit l’hôtel pour ne pas avoir à apporter ses boîtes de thon et sa charcuterie, et qui aime faire des excursions en Suisse, en Italie… » Benjamin Parienti, directeur de Kangourou Club, organise carrément un « séjour casher pour célibataires » aux Deux-Alpes. Pionnier du secteur il y a vingt-neuf ans, il propose à une clientèle traditionaliste (c’est-à-dire plus « cool ») des soirées dansantes, des activités sportives, des laser games et des programmes de soins en spa…