En 1862, la synagogue de la rue des Quatre-Passeports, à Clermont-Ferrand est la seule entre Bordeaux et Lyon. Discrète, elle aura, depuis, vécu plusieurs vies.
MAJ : Clermont-Ferrand a été choisie pour lancer les Journées européennes de la culture et du patrimoine juifs, le dimanche 1er septembre, pour la vingtième édition. Le grand rabbin de France sera présent, le 1er septembre, pour l’occasion.
Six mètres sur 11 ! Rue des Quatre passeports. Tout est fait pour que le bâtiment demeure discret. Malgré une façade étroite en pierre de Volvic, haute de 7 mètres et très remarquable, cependant, par ses détails architecturaux pour le moins originaux. Peut-on dire que la synagogue, désormais baptisée Beit Yaacov (1), est un lieu secret de Clermont-Ferrand ?
C’est en tout cas un lieu discret au lourd passé. Il fut jusqu’à présent tout empreint de discrétion mais nous raconte une histoire étonnante. L’étrange façade, blottie dans cette petite rue qui borde les parages de la place de La Liberté, au cœur de l’un des plus vieux quartiers de Clermont-Ferrand, attire l’œil du passant attentif. Même si l’ancienne Maison Roger a son propre passé, c’est au XIXème siècle qu’il faut chercher les fondements de ce lieu de culte qui connut, depuis lors, des sorts et des fortunes diverses.
Cependant, l’histoire des Juifs est, à Clermont-Ferrand, certainement une des plus anciennes que l’on puisse conter en France. Après la destruction du second temple de Jérusalem, en 70 de notre ère, des communautés débarquent à Marseille. Elles essaiment alors tout le long de la vallée du Rhône et arrivent même jusqu’à l’assise de l’actuelle capitale de l’Auvergne.
Montjuzet signifie « montagne des juifs »
Au Vème siècle, Clermont compte deux quartiers juifs, pas très éloignés l’un de l’autre : Fontgiève, c’est-à-dire, La Fontaine des Juifs, et Montjuzet, ce qui signifie « montagne des Juifs ». Mais la vie des Juifs n’était, semble-t-il pas toujours de tout repos, ceux-ci étant régulièrement, au cours de l’Histoire, confrontés à la vindicte générale. Ainsi Grégoire de Tours évoque-t-il un pogrom qui aurait été provoqué par une conversion échouée. La synagogue d’alors est détruite en 576. On retrouve également des traces de la présence judaïque à Riom grâce à une ketouba, c’est-à-dire un contrat de mariage, daté de 1319. Ce document est actuellement conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris.
Malheureusement, ces traces disparaissent à partir de cette époque, puis les Juifs quittent le royaume après en avoir été chassés par Louis XIII qui leur donne un mois pour partir, dans sa déclaration du 23 avril 1615. Ceux-ci reviendront au XVIIIème siècle et retrouveront, à Clermont, le quartier Fontgiève.
La synagogue de la rue des Quatre-Passeports, est peut-être modeste par ses dimensions, mais la ferveur qu’elle protège devient alors exemplaire et extraordinaire. « (…) En dépit ou en raison même de la tragédie, rarement le judaïsme aura connu, autant qu’à Clermont-Ferrand sous l’occupation, un tel degré de ferveur et d’exaltation (…) ». ANDRÉ CHEKHROUN (Grand rabbin)
Il était alors étudiant sous la houlette de Maurice Liber. Mais revenons en ce début de XIXème siècle. Un notable issu de cette communauté alsacienne, marchand prospère en bonneterie, va remédier à l’absence de lieu de culte. Il se nomme Israël Wael. Dans un premier temps, c’est son domicile qui fait office de synagogue. Il recrute un rabbin. Son jardin servira même de cimetière ! Enfin, sa propre fille épouse le rabbin. On ne peut pas imaginer personnage plus impliqué…
La Maison Roger transformée en synagogue par Louis Jarrier
Parallèlement, la communauté grandit et le besoin d’un lieu de culte dédié est de plus en plus pressant. Israël Wael va donc entamer des négociations avec la mairie pour acheter un terrain afin d’y bâtir l’édifice. Celles-ci échoueront et la solution de l’achat d’un bâtiment s’impose. La Maison Roger, sise rue des Quatre-Passeports est donc achetée et l’architecte de la ville, Louis Jarrier, se voit confié les travaux de transformation. L’ancienne maison d’habitation, qui fut occupée jadis par une des grandes familles de la bourgeoisie clermontoise, entame alors une nouvelle vie.
La synagogue est inaugurée le 20 mars 1862. Elle accueillera les offices religieux de la communauté israélite de Clermont jusqu’en 1962. Elle est alors cédée à une loge maçonnique et va subir d’importants travaux de transformations. Le mobilier cultuel est déménagé vers la nouvelle synagogue, rue Blatin.
Dernière date : 1990. Le bâtiment est à nouveau à vendre. Un mécène la rachète et en fait don à la communauté juive qui décide de la restaurer à l’identique. Elle doit alors devenir un lieu de mémoire vivant plus spécialement consacré à l’histoire des Juifs en Auvergne et à celle des Justes.
Les restaurateurs de l’arche perdue
Dans une synagogue et dans le culte hébraïque, l’Arche tient la place centrale. Située au fond de l’édifice, elle reçoit les rouleaux de la Thora. Celle de la rue des Quatre-Passeports, fut vendue, comme tout le mobilier, dans les années 80, avec le bâtiment. Puis l’imposant objet qui pèse près d’une tonne, fut récupéré par une famille de la région et entreposé dans une maison de campagne, sortant ainsi des mémoires. La partie sommitale fut, quant à elle, désolidarisée de l’ensemble et scellée sur un mur comme élément décoratif. Le hasard permit de retrouver cet objet essentiel qui fut restitué à la communauté en échange d’une copie.
Parallèlement, la restauration de l’Arche a été confiée à Christian Karoutzos, dont l’entreprise, installée à Issoire est spécialisée dans les travaux de restauration d’art. Travaillant sur les chantiers les plus pointus, dans toute la France, menuisiers, ébénistes, sculpteur, doreur à la feuille et restaurateur de polychromie, n’ont pas été spécialement effrayés par l’ampleur de la tâche. « Techniquement, nous faisons des choses beaucoup plus compliquées. En revanche, il m’a fallu beaucoup me documenter sur cette culture qui m’est moins familière », raconte Christian Karoutzos.
En fait, lorsque cette restauration est confiée à l’Issoirien, la fameuse partie sommitale a disparu. Il faut donc réaliser un vrai travail d’enquête, de déduction et d’extrapolation, pour pouvoir reconstituer la pièce manquante. Les restaurateurs achèvent cette partie de leur travail lorsque… miracle, le fameux chapiteau refait surface. Ce fut donc l’occasion de confronter le fruit de cette recherche à la réalité. Et le résultat est assez surprenant.
Des « hommes » providentiels
L’histoire de la petite synagogue aura, en fin de compte été avant tout une histoire « d’hommes » providentiels , comme se plait à le souligner Sabino Moustacchis, président de l’association cultuelle israélite de Clermont-Ferrand. Tout commence, bien-sûr avec Israël Wael (voir article principal). Mais le renouveau de la synagogue de la rue des Quatre-Passeports est du, lui aussi à la science et à l’énergie de certains passionnés, comme Dominique Jarrassé, professeur d’histoire de l’art, à Clermont, puis à Bordeaux et spécialiste reconnu de l’histoire des synagogues en France. C’est à M. Richard, alors directeur régional des affaires culturelles d’Auvergne, que l’on doit, en 2006, l’inscription de l’édifice à l’inventaire supplémentaire. Elle sera décisive pour la suite. Enfin, outre l’Etat (DRAC), la mairie et les collectivités territoriales, la Fondation du Patrimoine et des fondations privées (Edmond-Safra et Fondation pour la Mémoire de la Shoa), ainsi que de nombreux particuliers, auront, in fine contribué à la réalisation de ce projet ambitieux.
(*) Beit Yaacov, en souvenir de Jacob Safra, père de Edmond Safra qui fut l’un de ceux qui ont contribué au financement du projet.