Un ensemble de bijoux, livres et pièces de monnaie exposés au Met Cloisters de New York offre un rare aperçu de la vie de la communauté juive de Colmar au Moyen Age.
En mai 1863, des ouvriers ont découvert par hasard un véritable trésor : pièces de monnaie, bijoux et autres objets précieux cachés dans les murs d’une maison de la ville alsacienne de Colmar. De telles découvertes attisent naturellement la curiosité des détectives et historiens amateurs, mais celle-ci s’est révélée d’une importance aussi rare que poignante. La demeure, située dans l’ancien quartier juif de la ville, l’âge des pièces de monnaie et surtout la présence d’une bague de mariage juive reliait ce trésor à cette communauté qui avait vécu à Colmar plus de cinq siècles auparavant, quand l’Alsace faisait encore partie du Saint-Empire romain germanique. Une communauté qui, comme de nombreuses autres partout en Europe, fut décimée quand ses membres furent accusés de répandre la peste ; plus particulièrement au début de l’année 1349, lorsque les Juifs de Colmar périrent brûlés vifs.
Aujourd’hui conservé au musée de Cluny à Paris, le « trésor » fait partie des pièces que l’institution va prêter durant sa période de rénovation. Il sera présenté en même temps que d’autres oeuvres provenant de collections publiques et privées, lors d’une exposition, Le Trésor de Colmar : un héritage juif médiéval, qui ouvrira ses portes ce mois-ci au Met Cloisters de New York. Comme le rapporte la commissaire de l’exposition, Barbara Drake Boehm : «Je tenais à l’emprunter parce que ce trésor raconte une histoire mieux que notre collection ne peut le faire, en témoignant de l’importance de la communauté juive dans l’Europe médiévale. Un épisode difficile à raconter à cause des dangers que cette communauté a dû affronter au cours de l’Histoire.»
L’exposition confère à cet épisode historique une dimension plus captivante encore grâce à la part d’intimité qui est dévoilée. Même si l’identité du propriétaire du trésor reste un mystère — peut-être un prêteur sur gages —, pour Boehm il s’agit d’un magot familial. Sa relative modestie, 300 pièces de monnaie et 50 autres objets, tendrait à le prouver. Sans parler de la spécificité de son contenu. « L’une des preuves les plus probantes », dit-elle, « c’est la présence de bagues qui datent de la seconde moitié du XIIIème siècle et d’autres du XIVème siècle. Leur datation est différente, mais leurs matériaux aussi. Les bagues les plus anciennes sont en argent doré et grenat, et les plus récentes en or et pierres précieuses. Je pense qu’elles proviennent de la même famille, une famille qui se serait enrichie. »
Vus sous ce prisme, ces objets endossent un caractère émouvant. « Il y a un morceau de métal qui me fait penser à la poussette d’une boucle d’oreille », dit Boehm. « Quelqu’un l’a confiée à un bijoutier pour la faire ressouder, mais n’est pas allé la rechercher. Ces petits détails nous font traverser les siècles et nous plongent dans l’intimité de personnes disparues depuis plus d’un demi millénaire, mais qui n’étaient pas si différentes de nous. »
La pièce maîtresse de l’exposition est la bague de mariage, en or et émail, sur laquelle est gravée l’inscription de bon augure, mazel tov. Portée uniquement le jour de la cérémonie, cette bague a la forme d’un petit édifice hexagonal qui symbolise à la fois le nouveau toit du couple et le Temple de Salomon. « Ces bagues sont rarissimes », précise Boehm. « Mais il en existe une autre datant de la même époque, qu’une collection privée à New York nous prête. Elles seront exposées l’une à côté de l’autre. »
Une autre pièce complète le trésor. Il s’agit d’un livre de théologie chrétienne du XVème siècle, remarquable à cause de son papier de garde, représentant une enluminure d’oiseau, et qui, en réalité, est un parchemin recyclé d’un manuscrit hébreu du XIVème siècle. Même s’il était courant de renforcer la reliure des premiers ouvrages imprimés avec des pages de vieux livres manuscrits, des chercheurs sont parvenus récemment à des conclusions surprenantes. Comme l’explique Boehm : « On a longtemps pensé que ce trésor était la seule trace de la communauté juive médiévale de Colmar. Mais une femme remarquable, Judith Kogel, du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à Paris, a révélé que la bibliothèque municipale de Colmar recelait un certain nombre de livres qui, à l’intérieur de leurs reliures, renfermaient des fragments de manuscrits hébreux colmariens. Judith a percé le mystère de ces pages, et elle a ainsi pu reconstituer la bibliothèque médiévale des Juifs de Colmar. »
Comme le trésor, ces manuscrits — littéralement sortis de l’obscurité — mettent aujourd’hui en lumière la culture et la communauté qui les a créés. Lorsqu’on lui demande le conseil qu’elle donnerait aux visiteurs, Boehm répond : « Observez attentivement et demandez-vous simplement : ‘Quelle est l’histoire de cet objet ? Et que représentait-il pour son propriétaire en Alsace il y a plus d’un demi millénaire ?’ »
Le Trésor de Colmar : Un héritage juif médiéval
Du 22 juillet 2019 au 12 janvier 2020
The Met Cloisters – New york