Le Hezbollah a établi, à la gloire de sa « résistance islamique » contre Israël, un mémorial qui occulte totalement la guerre en cours en Syrie et sa responsabilité dans tous les massacres.
Nous sommes à Mleeta, à 80 kilomètres au sud-est de Beyrouth. Un drapeau géant du « Parti de Dieu », le Hezbollah, claque à plus de mille mètres d’altitude, dominant toute cette partie du Sud-Liban, occupée par Israël de 1982 à 2000. L’immense emblème jaune, où le sigle du parti épouse une kalachnikov, proclame la « Résistance islamique au Liban » . Car tel est le nom de la branche armée du Hezbollah, à laquelle il a consacré un impressionnant « site touristique », vanté comme un « musée » par le ministère libanais du Tourisme. Des centaines de milliers de personnes l’ont visité depuis son ouverture en 2010 et les familles sont nombreuses en ce mois de juillet, marqué par la montée des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis.
La guérilla comme si vous y etiez
La colline de Mleeta, théâtre d’âpres combats entre l’armée israélienne et la guérilla du Hezbollah, a été transformée sur 60.000 m2 en espace à ciel ouvert de reconstitution et de célébration de la « résistance islamique ». Le visiteur découvre, par un sentier balisé dans les sous-bois, des positions de combat, de tir et d’opérations du Hezbollah, avec armements d’origine (lance-roquettes, missiles antichars ou batterie anti-aérienne) et notices explicatives. Il peut pénétrer dans l’abri reconstitué d’Abbas Moussaoui, le secrétaire général du Hezbollah, tué dans un raid israélien en 1992, auquel a succédé Hassan Nasrallah, toujours à la tête du parti. Le circuit comporte un passage dans un tunnel fortifié de la guérilla chiite, avec salle de prières et poste de commandement.
Au centre du site, un « cimetière de l’armée israélienne » scénarise dans une fosse différentes prises de guerre du Hezbollah, dont un char au canon noué, en symbole de défaite, et un blindé renversé sous une immense toile d’araignée. Des passerelles permettent des vues surplombantes sur le matériel neutralisé d’un envahisseur ainsi rabaissé. La milice chiite expose depuis peu à Mleeta plusieurs missiles Khaybar-1, d’une portée de 75 kilomètres, dont l’utilisation avait marqué le conflit de 2006 avec Israël. Ont aussi été mis en valeur récemment des drones de « l’armée de l’air » du Hezbollah. Un documentaire de propagande est diffusé en arabe, anglais, persan et français. Les visiteurs sont enfin encouragés à se photographier en combattants du Hezbollah ou dans un simulacre d’abri de la guérilla.
Une histoire obsédée par Israël
Le bâtiment central, lui-même organisé autour d’une statue de cire de Nasrallah, est exclusivement consacré à la vision israélienne du Hezbollah. Des citations de dirigeants de l’Etat hébreu, Premier ministre, Président et chef d’état-major, sont censées exprimer un mélange de choc, d’impuissance et de désarroi face à une « résistance islamique » d’un type inédit. C’est littéralement dans les yeux de l’ennemi israélien que le Hezbollah entend construire son propre prestige politico-militaire. Le mémorial de Mleeta est à cet égard bien plus convaincant que les musées des Armées de Damas et du Caire, de facture désuète et pompeuse.
En se polarisant ainsi sur Israël, le Hezbollah opère deux occultations majeures dans son histoire réelle : d’abord, il efface méthodiquement toute trace des groupes, palestiniens ou progressistes, engagés dès 1982 contre l’occupation israélienne du Liban, car ces groupes ont été éliminés par le Hezbollah pour ancrer le monopole de sa seule et unique « résistance islamique » ; ensuite, il est absolument silencieux sur l’engagement majeur du Hezbollah, au service de la dictature syrienne, depuis plus de sept ans. Que cet engagement soit postérieur à l’ouverture de Mleeta n’explique qu’en partie une telle occultation : il est surtout difficile de parler de « résistance islamique au Liban » quand le Hezbollah combat dans un pays étranger, la Syrie, soi-disant pour « protéger » le Liban du jihadisme par cette guerre « préventive », mais bel et bien dans le cadre d’une intervention d’ampleur sous l’égide de l’Iran. Le fait que Téhéran, et donc le Hezbollah, aient refusé de s’engager dans la récente bataille d’Idlib a d’ailleurs empêché toute progression d’Assad sur ce front, rappelant la dépendance du régime syrien envers les miliciens chiites.
Le visiteur peut acheter au gift-shop des souvenirs à l’effigie des ayatollahs iraniens ou des grandes figures du Hezbollah. Le slogan du site est « ce que la terre raconte au ciel », sur un registre d’exaltation de la « résistance islamique ». Loin de telles envolées, Mleeta en apprend en fait beaucoup sur ce que le Hezbollah est devenu, en cet été de tant de surenchères au Moyen-Orient.