Ravalés au rang de pestiférés par le régime nazi après l’Anschluss en Autriche, les Juifs sont victimes de terribles persécutions et forcés à fuir la capitale.
Après la guerre de 14 et la disparition de l’Empire austro-hongrois, on a un peu oublié que c’étaient les sociaux-démocrates qui dominaient la vie politique en République d’Autriche. Mais leur pouvoir a commencé à décliner avec l’arrivée du chancelier Engelbert Dollfussen 1932 à la tête de l’Etat fédéral, qui a alors mis en place les bases sur lesquelles va prospérer ce que les historiens ont ensuite appelé l’austrofascisme: le pays devient un Etat autoritaire, corporatif et catholique.
Dollfuss assassiné par les nazis autrichiens, Kurt Schuschnigg lui succède dans un bain de sang et un antisémitisme ambiant qui ne cesse de croître. Aussitôt, le nombre de Juifs actifs dans les secteurs bancaire, judiciaire et médical diminue. Puis, à la suite de l’Anschluss au IIIe Reich allemand en 1938, cet antisémitisme explose. Le correspondant à Vienne du Journal de Genève rapporte, le 23 juillet 1939, que «des 180 000 habitants de confession juive, plus de la moitié a déjà quitté le pays. Il en reste donc environ 80 000, dont les trois quarts vivent dans la misère».
C’est que leurs nombreux commerces sont pillés, et les scènes d’humiliation publique fréquentes. Ruth Maier, une diariste juive de la Shoah en Autriche et en Norvège, morte à la fin de 1942 à Auschwitz, raconte que les Juifs sont ravalés «au rang d’animaux, de porcs, de non-humains». «Depuis la destruction des synagogues», ajoute le Journal de Genève, il n’y a plus de célébration juive à Vienne, redevenue une ville «purement allemande»: les établissements de bains sont interdits à la «juiverie», «la plupart des cafés ne sont accessibles qu’aux consommateurs aryens», les théâtres, cinémas et concerts leur sont complètement interdits.
Aucune source de revenus
La majorité des Juifs restés sur place parce que n’ayant pas les moyens de fuir «n’a aucune source de revenus. Ils vivent de leurs économies, qui diminuent à vue d’œil, de la vente de leur mobilier et de leurs bijoux (pour autant qu’ils n’ont pas dû s’en défaire) ou de secours éventuels», toujours risqués pour les secouristes en question. Bref, écrit le quotidien genevois, «il est évident que le régime est fermement décidé à se débarrasser» de tous, de disperser les familles, malgré le fait qu’«il est toujours plus difficile de trouver un pays d’immigration. Les contingents sont presque partout dépassés», «l’avenir […] paraît terriblement sombre».
En fait, dans les derniers mois et semaines avant la guerre, l’Autriche s’est transformée en cet immense «laboratoire» qu’est celui de la politique antisémite développée par le nazisme, avec aryanisation et émigration forcées. A Vienne, en août 1938, Adolf Eichmann créera une centrale pour les départs, qui prévoyait de dépouiller de leurs biens les «candidats» à l’émigration avant leur expulsion, prélude aux déportations massives vers les camps de concentration.
Sur les nerfs
En attendant, les Juifs «ont été totalement éliminés de la vie économique», prospère, de Vienne. Avant de partir vers un ailleurs de plus en plus improbable, voire impossible quand la guerre aura commencé – lorsque «ce moment heureux» est venu, écrit A. v. M. – «le Juif doit se présenter au moins à une douzaine d’instances, afin d’apporter la preuve qu’il s’est acquitté des divers impôts, ce qui signifie toujours de nouveaux délais et de nouvelles attentes, usant toute résistance nerveuse». Au point que, désespérés de ne même plus pouvoir «se promener dans les parcs publics» en quête de quelque solidarité ou de nourriture, «nombreux sont ceux qui cherchent dans les cimetières juifs un peu de calme sans être importunés»…