L’ex-Premier ministre a vu son retour au premier plan parasité par ses liens avec le financier américain, poursuivi pour exploitation sexuelle de mineures aux Etats-Unis au début du mois.
Il en brûlait d’envie depuis des années. Mais, fidèle à sa réputation de génie du billard à trois bandes, Ehud Barak attendait la fenêtre de tir parfaite pour revenir en politique. Finalement, fin juin, l’ex-Premier ministre israélien a annoncé son come-back. Sans parti et quasi sans soutien, avec pour seule ambition de détrôner Benyamin Nétanyahou. Exploit que l’ancien travailliste reste le seul à avoir accompli en mettant fin au premier mandat du chef du Likoud, en 1999.
Comme si, deux décennies plus tard, l’ex-baroudeur des forces spéciales se lançait dans une ultime mission commando, seul avec son sac à dos, son orgueil stratosphérique et ses formules façon rafales de Uzi. «Le gouvernement Nétanyahou, avec ses fanatiques messianiques et son régime corrompu, doit être abattu et non sauvé», a-t-il déclaré en toute sobriété pour justifier son retour.
Le plan de bataille de l’ancien chef d’Etat-major de 77 ans devait se jouer en deux temps. D’abord, prendre le leadership d’une gauche groggy après la défaite historique aux législatives d’avril et en manque de têtes d’affiche, en forçant les travaillistes et le Meretz (le parti du «camp de la paix») à fusionner avec sa liste bricolée à la va-vite d’ici le 1er août, date du dépôt des candidatures. Puis, passé le scrutin du 17 septembre, il entendait former une large coalition de centre-gauche avec le général Benny Gantz, qui avait fait jeu égal avec Nétanyahou lors des dernières élections. Arborant désormais une barbe broussailleuse, Barak voulait se présenter en sauveur de la démocratie et «du futur du projet sioniste»,face à un Nétanyahou acculé par les affaires qui en serait le double fossoyeur.
Article embarrassant
Las, cette belle mécanique (l’un de ses passe-temps est l’horlogerie) s’est enrayée aussitôt lancée, entachée par les éclaboussures boueuses de l’affaire Jeffrey Epstein. Depuis l’arrestation début juillet du milliardaire américain, pas un jour n’a passé sans qu’Ehud Barak n’ait eu à se défendre de ses liens professionnels et amicaux avec Epstein, lui qui figure dans le «petit carnet noir» du financier poursuivi pour «exploitation sexuelle de mineures».
L’homme d’affaires, qui aurait été présenté à Barak par Shimon Pérès au début des années 2000, a ainsi versé plus de 2 millions de dollars à l’ex-Premier ministre en 2004 pour un prétendu rapport sur la jeunesse juive jamais publié, et a financé le lancement d’une de ses start-up en 2015.
Sur Twitter, faisant mine de s’indigner du «silence des médias» autour de cette sulfureuse connexion, Benyamin Nétanyahou a été l’un des premiers à relayer des articles mentionnant les sommes faramineuses versées par Epstein à Barak. Et de lancer : «Quoi d’autre le délinquant sexuel a-t-il offert à Barak ?»
Dans un premier temps, Barak a tenté de balayer l’affaire d’un revers de main, lui aussi sur Twitter, en dressant un parallèle entre Epstein et Nétanyahou, assumant de s’être associé avec le premier malgré sa première condamnation pour proxénétisme, et d’avoir siégé dans un gouvernement du second (à la Défense, de 2007 à 2013). «Pas besoin d’enquête. J’ai donné une seconde chance, à la fois à Jeffrey et Bibi. Les deux se noient aujourd’hui dans leurs crimes.»
Mercredi, le lancement officiel de son microparti, baptisé Parti démocrate israélien, a été parasité par un article embarrassant dans le Daily Mail. On l’y voit sur des photos prises en 2016 par un paparazzi, le visage masqué par une écharpe au moment d’entrer dans la demeure new-yorkaise d’Epstein. La publication insinue qu’il allait y retrouver «quatre femmes». Barak a annoncé son intention de poursuivre le tabloïd britannique en diffamation.
«Sans avoir vu une seule fille»
Dans une interview au site américain The Daily Beast, il s’est défendu maladroitement, expliquant qu’«en tant qu’habitant du Moyen-Orient», il s’était chaudement couvert à cause du froid et non pour dissimuler son identité. Dans le même entretien, il reconnaît être allé sur l’île privée des Caraïbes où Epstein aurait organisé des orgies, mais «sans y avoir vu une seule fille».
Lors de la soirée de lancement de sa formation dans un bar branché de Tel-Aviv, Barak a largement dévié de son script de campagne, multipliant les invectives au vitriol contre Nétanyahou («un pervers et un parasite»), qu’il accuse d’orchestrer une campagne de dénigrement semblable à celle ayant mené à l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995.
«Il faut voir si cette affaire finit par se tasser, mais c’est déjà un vrai gâchis, note un spin-doctor proche de la gauche israélienne. Barak est l’un des derniers ténors à se revendiquer ouvertement de gauche, à affirmer que la recherche d’une solution au conflit avec les Palestiniens est prioritaire.» Mais le conseiller reconnaît que l’ex-Premier ministre, «qui a dormi jusqu’à 40 ans dans des lits de camp», a pu succomber à une boulimie affairiste, multipliant les placements et monnayant son carnet d’adresses dans des secteurs aussi divers que la cybersécurité ou le cannabis thérapeutique. Au risque de jouer les intermédiaires douteux, comme dans l’affaire Weinstein.
Le soldat Ehud Barak était renommé pour sa «créativité» et sa capacité à se sortir des pires situations derrière les lignes ennemies. Reste à voir s’il saura s’échapper de ce bourbier-là à temps. Pour l’instant, les sondages créditent sa formation de 4 à 6 sièges dans la prochaine Knesset. Très loin du compte.