Certains désastres passent inaperçus. Le 8 avril 2019, fut un jour triste, très triste, pour la communauté juive de France. Et si une grande majorité des membres de la communauté ne s’en rendra jamais compte, ceux qui sont confrontés à sa violence institutionnelle, eux, s’en rendent douloureusement compte tous les jours.
Le 8 avril, Michel Gugenheim a été réélu Grand rabbin de Paris. À l’issue de son élection et, avec son habituelle « derekh erets » (savoir vivre), il n’a pas salué son adversaire, le rabbin Alain Senior, mais a préféré remercier tous ceux qui ne se sont pas présentés contre lui (certains avaient même retiré leur candidature), insultant ainsi l’adversaire qui a osé, lui, se présenter contre Michel Gugenheim.
C’est du moins le témoignage de ceux qui ont entendu son allocution. Michel Gugenheim a été réélu malgré ses échecs dans plusieurs domaines dont la gestion de la kashrout et celle des divorces (on se souvient encore du scandale du get, libelle de répudiation, à 90 000€ délivré en 2014 dans lequel il était impliqué en tant que président du tribunal rabbinique et les photos parues dans la presse nationale) ; le peu de sérieux avec lequel le problème des cimetières en Algérie a été géré, etc.
Il n’a pas hésité à boycotter la visite du président de l’État d’Israël, Reuven Rivlin, le qualifiant « d’insolent » pour avoir invité des rabbins des communautés libérales en même temps que les rabbins orthodoxes et les imams à une rencontre et s’en est vanté dans l’interview donnée au journal haredi Yated Neeman du 12 avril 2019.
Avec l’aide de quelques rabbins, il a mené campagne contre le don d’organes et a déclaré au Trait-d’Union (n°104) que « il importe de s’opposer fermement au prélèvement d’organes et j’appelle nos coreligionnaires à s’inscrire sur le fichier national du refus ». En revanche, il ne leur interdit pas d’en recevoir….
On appris récemment qu’un autre scandale a été étouffé. Il concerne l’aumônerie de l’HEGP. Depuis 20 ans, Gabriel Farhi, rabbin de la communauté libérale de l’AJTM, est aumônier à l’hôpital Georges Pompidou où il accomplit un travail à titre bénévole et gracieux – ce qui n’est pas le cas du rabbin Yoni Krief, nommé par l’aumônerie générale et rémunéré par l’AP-HP.
Or, Yoni Krief occupe un poste à plein temps dans une communauté à Bruxelles depuis 2017. La direction de l’hôpital ayant appris qu’elle rémunérait un rabbin qui ne visitait aucun malade a licencié Yoni Krief, mais a dû le réintégrer suite à l’intervention du G.R de Paris, Michel Gugenheim. Et tant pis pour les malades qui ne seront pas visités, tant pis pour les caisses qui rémunèrent un salarié pour un non-travail et tant pis pour le « hillul shem shamayim » (profanation du nom de Dieu). Force est de constater qu’à la différence de ce rabbin consistorial, c’est le rabbin libéral, Gabriel Farhi, qui agit en conformité avec la loi et l’éthique juives.
En dépit d’un premier mandat catastrophique, et, contrairement à la règle éthique du Talmud qui ne souhaite jamais voir pareille chose se produire, les « grands électeurs » du Consistoire de Paris (ACIP) du 8 avril 2019 ont « récompensé le pêcheur » (hote’ niskar).
Outre ses échecs et les scandales, le grand rabbin Michel Gugenheim qui préside le tribunal rabbinique de Paris, s’est auto-proclamé dayyan (juge rabbinique) alors qu’il n’en détient pas le diplôme (ça ne vous rappelle pas un autre grand rabbin ?). Ceci scandalise ses collègues haredim et le journal Yated Neeman ne se prive pas de le dénoncer dans son numéro du 17 Elul 5776 (=20/09/2016).
Depuis le départ du dayyan Yirmiyahu Cohen, on ne compte AUCUN juge rabbinique dans le tribunal rabbinique de Paris (Beith Din). Dans le marché commercial on aurait appelé cela du « Canada dry » : ça ressemble à un beith din, ça a l’odeur du beith din, ça s’appelle un beith din, et pourtant …
Le Consistoire de Paris et son président, M. Joël Mergui, apportent leur contribution à la diffusion de cette information en imprimant le nom du g.r. Michel Gugenheim avec le titre de « dayyan » dans les calendriers de l’ACIP de 5778 (2017/2018) et de 5779 (2018/2019). Lui apportent-ils également un supplément de salaire … ? On l’ignore.
En revanche, le rabbin et dayyan Benjamin Chelly dont la nomination a été annoncée dans la Lettre du consistoire du 10/09/2017 ne figure nulle part dans l’organigramme du Consistoire de Paris ou de son Beith Din. Selon cette lettre, le nouveau dayyan « seconde désormais le grand rabbin de Paris au Beth Din de la capitale, dont il est devenu le deuxième membre à part entière », (c’est le monde à l’envers : le dayyan seconde le non-dayyan). Or ce dayyan n’a aucune part dans l’organigramme du Consistoire de Paris.
Si vous avez la curiosité de téléphoner au Beith Din de Paris, vous ne pourrez jamais joindre le dayyan Benjamin Chelly : il n’a ni bureau, ni secrétariat, ni téléphone, ni email au Consistoire de Paris. La réponse que vous obtiendriez sera invariablement celle du secrétariat du grand rabbinat de Paris et sera toujours la même : « écrivez au grand rabbin Michel Gugenheim. Il lui transmettra ».
Enfin, puisqu’il a été élu et qu’il demeure président d’un tribunal rabbinique dépourvu de juges rabbiniques, qu’il me soit permis d’adresser quelques questions au G.R. Michel Gugenheim :
-Comptez-vous tirer enfin les leçons du scandale de 2014 (le get à 90 000€) et améliorer l’accueil des femmes « agunot » au Beith Din de Paris ?
-Comptez-vous respecter le contradictoire dans ce tribunal ?
-Comptez-vous ainsi que le personnel du Service des Divorces répondre aux courriers qui vous sont adressés ?
-Va-t-on cesser de demander aux femmes une contrepartie en échange de la remise du get ?
-Comptez-vous présenter à la communauté un « bilan » de la situation actuelle et les changements apportés dans ce service depuis le scandale de 2014, ou l’opacité restera la règle dans le Service des Divorces ?
Pour le bien de la communauté et dans son intérêt, j’espère que les réponses du g.r. Michel Gugenheim à ces questions se feront entendre rapidement.
Dans l’intérêt de la communauté, je lui souhaite une bonne mandature.
Liliane Vana
Spécialiste en droit hébraïque
Talmudiste, Philologue