« J’avais posté des choses sur les attentats à Nice parce que j’étais révoltée comme tout le monde » déclare la chanteuse Mennel dans une vidéo diffusée hier par Brut. Pour Emmanuel Debono, le problème est que Mennel réécrit le passé en modifiant la nature de ses propos et en réduisant ses détracteurs à l’extrême droite.
En février 2018, la toile s’était enflammée à la diffusion de messages rédigés quelques mois plus tôt par la chanteuse Mennel. L’exhumation desdits messages, alors que la jeune artiste était candidate du télécrochet The Voice, avait suscité une vive polémique, celle-ci ayant témoigné d’un clair penchant complotiste et d’une attraction pour des personnalités controversées telles que Tariq Ramadan, Dieudonné M’Bala M’Bala ou encore Hassan Iquioussen.
Il n’y a pas lieu d’exprimer ici un point de vue artistique, mais de porter un regard analytique sur toutes les trajectoires à teneur complotiste, qu’elles soient individuelles ou collectives. Ainsi, en février 2018, les affinités douteusement électives de Mennel nous semblaient devoir être questionnées, nonobstant son âge, ses choix vestimentaires ou les langues dans lesquelles elle avait choisi d’interpréter la chanson Hallelujah de Leonard Cohen. Coiffée d’un turban (ou de plumes indiennes), s’exprimant en arabe (ou en javanais), l’artiste peut légitimement user des articles de son choix pour toucher les cœurs. Nul ne saurait empêcher en revanche que les opinions d’une jeune femme aspirant à la notoriété intriguent une partie du public et suscitent un besoin d’éclaircissement, en particulier lorsque lesdites opinions sont lisibles sur les réseaux sociaux.
Mennel aurait pu réclamer le droit à l’oubli en invoquant le plus simplement du monde un égarement passager. Elle aurait pu expliquer que, comme nombre des jeunes gens de son âge, il lui est arrivé de céder à cette action mentale consistant à refuser de se satisfaire de versions dites « officielles » au nom d’un droit-à-penser-par-soi-même et, en définitive, à dire des sottises. Après avoir désigné ce que ces propos avaient de problématiques, nous aurions été les premiers à prendre acte de son sens des responsabilités et de sa maturité. Au lieu de quoi, Mennel continue de nous servir, en juin 2019, à l’occasion de la sortie de son deuxième album, un condensé de déni à la sauce victimaire. La démonstration est d’autant plus étonnante que l’idée ne nous serait pas venue de revenir sur cet épisode qui avait déjà fait l’objet de sa part, sur le plateau de l’émission « Quotidien » (TMC), le 10 mai 2018, puis lors d’un passage dans l’émission « C à vous » (France 5), le 17 mai suivant, d’une maladroite opération de déminage, sans réelle amorce d’autocritique. Dont acte malgré tout, à l’époque.
La démarche consistant à revenir sur l’affaire durant près de neuf minutes diffusée sur Twitter et Facebook par le média en ligne Brut peut surprendre au plan promotionnel. Il est cependant difficile de ne pas y lire la volonté d’imposer un récit autobiographique ne retenant de l’affaire que l’acharnement d’une extrême droite soucieuse de salir la chanteuse pour ce qu’elle assume être : une femme de confession musulmane.
« C’est parce qu’à la télé, ils ont vu une fille qui arrive, qui chante en arabe et qui a un turban qu’on est allé fouiller dans mon compte. »
Son passage dans The Voice avait créé la polémique. Un an après, Mennel raconte à Brut comment elle l’a vécu et ce qu’elle devient. pic.twitter.com/HE7qbIV2oP
— Brut FR (@brutofficiel) 14 juin 2019
Ce faisant, Mennel oriente, relativise et minimise, insistant surtout, une fois encore, sur la thèse d’une mauvaise interprétation de ses propos. Au stade maximal de l’introspection, cela donne : « c’était sûrement mal dit puisque ça a été tourné d’une manière absolument malsaine ». Oui, mal dit, mais mal pensé également.
Le problème est que Mennel réécrit le passé en modifiant la nature de ses propos, en réduisant ses détracteurs à l’extrême droite – qui ne l’a effectivement pas épargnée –, et en élargissant son analyse à un problème qui serait, d’après elle, bien français : une intransigeance conservatrice hostile au multiculturalisme dont elle n’aurait pas fait l’expérience, a contrario, aux États-Unis ou au Canada. Ce que dit la chanteuse, c’est qu’on a purement et simplement cherché à la réduire à une religion, à une communauté. Foin de ses options litigieuses, passées en ces circonstances à la trappe : seul demeure, à ce sujet, le travail nocif d’une extrême droite dont l’assise s’élargit subrepticement au fil de la vidéo, à cette France qui peine à admettre la différence et qui, surtout, dévoie la laïcité.
Après avoir rappelé à Mennel que la laïcité n’est pas le « respect des convictions de chacun » mais la garantie donnée aux croyants et aux non-croyants de pouvoir les exprimer librement, il faudrait souligner que sa technique de brouillage s’apparente à la projection d’encre par la seiche qui cherche à s’extraire d’une situation périlleuse. Elle veut prendre de court, sans doute avec raison, les attaques personnelles qui ne manqueront pas d’accompagner la sortie de son album. Elle n’a pas tort de pointer le rôle néfaste de ceux qui se montrent allergiques par principe aux turbans. Mais elle choisit d’attaquer sur un mode simplificateur qui dessert la vérité : elle se donne ainsi le visage de l’innocence, en proie à une minorité malveillante dont les contours incluent tous ceux qui estiment que la théorie du complot appliquée aux attaques jihadistes ainsi que l’admiration à l’égard de personnalités comme Tariq Ramadan ou Dieudonné M’Bala M’Bala dessine d’elle un portrait trouble. En l’occurrence, l’esquive et la manipulation le renforcent plus qu’elles ne le défont.
À cet égard, l’« affaire Mennel », rappelée par ses propres soins, renvoie à un scénario qui s’inscrit bien dans l’air du temps par son lot de relativisations, d’amnésies, de contre-accusations et, au final, de réécriture du passé : « J’avais posté des choses sur les attentats à Nice parce que j’étais révoltée comme tout le monde. » Fin de citation. On peut le regretter lorsqu’il s’agit d’une jeune artiste prometteuse. Il est d’autres manières de neutraliser son passé : admettre humblement, par exemple, ses faux pas et ses erreurs.