Les enjeux de pouvoir autour du financement de la 64e édition de l’Eurovision, ont mené à une hausse drastique du prix des billets, entre 245 et 415 euros, dissuadant plus d’un visiteur de se déplacer à Tel-Aviv.
Au pied des hôtels de luxe qui tutoient le ciel, le village de l’Eurovision a des airs de Paléo, la mer en plus. Au son de tubes techno, familles et fêtards déambulent entre les stands de nourriture des quatre coins du monde tandis que la bière coule à flots. Yaël, elle, n’a pas le cœur à la fête. Bien que la jeune femme travaille à quelques mètres des scènes accueillant dès mardi soir les chanteurs de l’Eurovision, elle devra se contenter d’écouter les concerts de loin. En cause, le prix exorbitant des entrées à ce 64e concours. Un billet pour la finale coûte au minimum 329€, contre 150 l’an dernier à Lisbonne. «Que vont penser les touristes qui doivent payer ce montant? C’est une honte pour notre pays», s’exclame l’étudiante qui gagne quelques sous comme serveuse dans un restaurant de la plage.
Une «honte», alors que la victoire en mai 2018 de la chanteuse Netta Barzilaï avec son tube Toy avait fait la fierté des Israéliens. Le premier ministre, Benyamin Netanyahou, qui l’avait qualifiée de «bénédiction», avait été surpris exécutant une petite «danse de la poule», invention de la gagnante, à l’extérieur d’une réunion de cabinet. Avant d’annoncer triomphalement l’organisation de l’Eurovision 2019 en Israël, ce qui a mis ses compatriotes en joie.
Enjeux de pouvoir
Mais très vite, les enjeux de pouvoir ont empoisonné les préparatifs. En juillet 2018, la question de savoir qui allait payer la garantie de 12 millions d’euros à l’Union européenne de radio-télévision pour assurer la tenue de l’événement a «ravivé le conflit entre le gouvernement israélien et la télévision publique Kan Broadcasting Company, qui ne se sont jamais appréciés», explique Gad Yaïr, professeur de sociologie à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Au fil des mois, les ministères israéliens se sont renvoyé la responsabilité du financement. Celui de la culture a notamment essayé «de prendre le contrôle de l’événement, en vain», raconte Gad Yaïr. On comprend dès lors pourquoi il a boudé cet Eurovision, ne faisant aucun effort pour vanter sur place les attraits de Jérusalem, Nazareth ou la mer Morte, et n’envoyant aucun représentant accueillir les journalistes. Un désintérêt gouvernemental à l’inverse de l’enthousiasme suscité par le Giro d’Italia 2018 où l’on avait même vu Benyamin Netanyahou enfourcher un vélo.
Finalement, la télévision publique israélienne a pu compter sur 220 millions de shekels, mais un bon tiers devra être remboursé sur quinze ans. L’entreprise a donc dû augmenter le tarif des billets pour entrer dans ses frais, et c’est le visiteur qui passe à la caisse. Un visiteur au porte-monnaie déjà éreinté par l’avion (plus cher qu’un billet de train en Europe) et l’hôtel (très cher à Tel Aviv en cette période). On ne s’étonnera donc pas que seules 5000 personnes, selon les chiffres de l’Association des hôtels de Tel Aviv, aient tenté l’aventure israélienne, alors qu’il en était attendu 15 000 et que Lisbonne en avait séduit… 90 000.
Des visiteurs découragés par les prix
Dans ce flop, la question économique aura pesé bien plus que l’argument « moral » porté pendant des mois par les partisans de la campagne internationale «Boycott, désinvestissement et sanctions» (BDS). Eux qui appelaient à faire l’impasse sur un Eurovision qualifié d’«artwashing» («blanchiment par l’art») par des artistes de Gaza ont été peu suivis. Aucune des 41 délégations n’a annulé sa participation. Par ailleurs, Madonna n’a pas renoncé à son show pour la finale, malgré les demandes de célébrités telles que le musicien Peter Gabriel, le réalisateur Ken Loach ou Roger Waters, membre fondateur du mythique groupe Pink Floyd.
Une petite victoire pour les partisans de cette édition qui offre le loisir d’oublier un peu. Oublier un peu les accords jamais conclus, les guerres irrésolues, les morts qu’on n’a pas évités… mettre de côté, un moment, les affres de la politique pour se délasser. «On sait bien ce qui se passe avec les Palestiniens, mais il y a un temps pour tout. On profitera de ce voyage pour aller aussi dans les Territoires occupés, mais là, on veut faire la fête», résume Didier, un Belge venu avec sa bande de copains pour l’Eurovision dont il est fan. Il faut aborder le problème du coût des billets pour que, soudain, le ton léger laisse place à l’indignation. «Ces prix, ça fait vraiment mal au cœur. C’est une honte!»