INTERVIEW. Le préfet de police des Bouches-du-Rhône, Olivier de Mazières, fait le point sur les nouveaux lieux de radicalisation. Propos recueillis par Nadjet Cherigui et Clément Pétreault.
Ancien directeur de l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), Olivier de Mazières est aujourd’hui préfet de police des Bouches-du-Rhône. Intégrisme religieux, radicalisation et repli communautaire n’ont aucun secret pour ce haut fonctionnaire qui donne lui-même des formations sur les valeurs républicaines. L’un des enjeux du moment pour lui : anticiper la reconfiguration de la menace terroriste, notamment dans les milieux associatifs et sportifs… En effet, ces îlots de libertés peuvent faire l’objet d’un entrisme religieux ou communautaire, parfois même radical. À Marseille, il a, par exemple, fait fermer une salle de sport dans le 3e arrondissement. Il explique au Point les enjeux de la surveillance de la radicalité.
Le Point : À quel moment s’est-on rendu compte que le sport pouvait être vecteur de radicalisation violente ?
Olivier de Mazières : Nous avons constaté que de nombreux individus repérés comme radicalisés pratiquaient aussi des sports de combat. Il faut aussi observer le profil sportif des auteurs d’attentats depuis mars 2012. Tous pratiquaient des sports comme la boxe, le MMA, le free fight ou le judo à un niveau intense, voire parfois de compétition. C’est là qu’on a compris qu’il y avait un sujet de sécurité. On a attiré mon attention dès 2015, alors que je prenais mes fonctions à l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme. J’ai travaillé sur ces sujets avec l’Uclat après l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier. Nous avons analysé des fichiers des services de renseignements et remarqué que certains individus montraient des signes de risques aggravants comme les pratiques sportives, de tir ou de pilotage d’aéronef. Certaines salles de sport se communautarisent progressivement. On commence par repérer des signaux faibles. Par exemple, dans une piscine, des femmes vont demander des créneaux horaires pour ne pas avoir à se baigner avec des hommes ; dans certains clubs, on pratique la prière, on impose le ramadan et de nombreux interdits religieux ; les femmes pratiquent le sport les cheveux couverts, on fait un scandale à celui qui prend sa douche nu dans les vestiaires. Certains adeptes du judo refusent de s’incliner devant l’adversaire avant d’entrer sur le tatami, car on ne peut s’incliner que devant Allah, etc. Toutes ces étapes sont des signaux de communautarisation. À l’instar de ce que l’on constate dans les salles de prière, des individus peuvent prendre l’ascendant sur les autres, écarter ceux qui pensent différemment et, finalement, ils mettent en coupe réglée tout un club.
On a le sentiment que le prosélytisme religieux, en particulier salafiste, se fait plus discret. Est-on en train d’assister à un changement de stratégie de cette mouvance ?
Dans les mosquées radicalisées, les imams et prêcheurs virulents ont appris à être plus discrets et les débordements qui existaient auparavant ne sont plus aussi visibles. En tant que préfet, mon problème n’est pas le salafisme, et je tiens à éviter de tomber dans le piège de la stigmatisation. Ce qui guide l’action publique, c’est l’appel à la haine, à la discrimination, à la violence, l’apologie du terrorisme ou, pire encore, l’implication dans une association de malfaiteurs en vue d’une action terrorisme. Contre cela, on a des textes qui sanctionnent.
Si l’intégrisme se fait plus discret,comment existe-t-il concrètement sur le terrain ?
Le sujet de la clandestinité est, pour nous, un vaste sujet. Nous avons fermé une salle de prière greffée à un local associatif qui était devenu une mosquée… Dans ce cas de figure, c’est illégal et non clandestin. À ma connaissance, il n’y a pas à Marseille de salle de prière cachée où on se dissimule et on reste entre soi. En revanche, il existe des écoles clandestines. On a récemment fermé une crèche et un établissement scolaire totalement clandestins, non déclarés, dissimulés et gérés par une association. Sur ce point, il y a un gros travail à mener pour traiter ce genre de clandestinité. Nous avons besoin de travailler avec les services de renseignements et des relais d’informations sur le terrain.
À Marseille, le trafic de drogue est très présent. Quelle porosité observez-vous entre deal et islamisme ?
Quels sont les moyens administratifs, judiciaires et humains pour ces contrôles et surveillances ?
On a des « capteurs d’alerte ». Nous faisons un gros travail de sensibilisation des travailleurs de terrain comme des associations. Il nous faut des gens pour remonter des informations. Pour cela, on explique quels sont les indicateurs de basculement dans la radicalisation et surtout à quoi ça sert de nous les signaler. Depuis les attaques de 2015, on forme des fonctionnaires de tous les services publics, comme l’Éducation nationale avec qui nous travaillons en bonne intelligence. Dans le milieu privé et associatif, c’est un peu plus compliqué, il faut franchir les défiances et les craintes pour dépasser ce vieux traumatisme lié à la collaboration pendant la guerre. Pour cela, on explique comment sont utilisés ces signalements : il s’agit avant tout d’éviter les attaques, les victimes, et de protéger les jeunes adultes contre ce qu’ils risquent de faire. Nous luttons aussi contre les amalgames pour protéger les 99 % de musulmans qui veulent vivre normalement