Installée sans doute dès la seconde moitié du XVIe siècle, la communauté juive de Weiterswiller forme l’une des plus importantes de la campagne alsacienne vers la fin du XIXe siècle.
Le règlement des juifs de 1573
En 1573, les seigneurs de Fleckenstein dont dépend le village de Weiterswiller jusqu’en 1720, obtiennent de l’empereur Maximilien le privilège connu sous le nom de « Fleckensteiner Judenprivileg », c’est-à-dire le règlement de vie des juifs résidant dans le lieu sous le strict contrôle de l’administration seigneuriale. L’obtention de ce document par cette famille puissante semble impliquer la présence de juifs dans leur territoire dès la seconde partie du XVIe siècle. Rappelons que dans cette seigneurie, comme ailleurs, les juifs sont obligés jusqu’à la Révolution de payer des droits dits de réception et de protection.
Une population croissante
Un document de la fabrique de l’église de La Petite-Pierre mentionne un juif dans le village en l’année 1684. Dès 1716, un dénombrement officieux indique la présence de six familles (à la même époque, il y en avait 7 à Saverne, 8 à Dossenheim, 8 à Dettwiller, 18 à Bouxwiller, 11 à Pfaffenhoffen, 13 à Ingwiller).
Le nombre des familles augmente beaucoup au cours du XVIIIe siècle. En 1784, la communauté est forte de 24 familles, soit 94 personnes, ce qui correspond à 13 % de la population totale du lieu. Les toutes dernières années du XVIIIe siècle sont marquées par l’établissement de plusieurs familles dont deux de Weinbourg (Strauss et Michel), deux de Bouxwiller (Jacob et Schuler), une d’Ettendorf (Geraldwahl) et une autre de Wingersheim (Levi). Cela représente une vingtaine de personnes, mais en même temps d’autres familles quittent la localité, ce qui limite l’accroissement de la communauté à dix unités au début du XIXe siècle.
L’évolution démographique du XIXe siècle
En 1851, la communauté compte 125 âmes, soit 13 % de la population totale. Une bonne douzaine des 26 familles habitent dans la Grand’rue ; les autres sont presque toutes installées dans le quartier « Lind ». Les chefs de famille pratiquent tous quelque commerce : sept marchands de bestiaux ; deux marchands de toile ou d’étoffe, trois épiciers, un ferrailleur, six revendeurs et un courtier ; on note aussi un instituteur, deux fabricants de potasse, deux bouchers et deux personnes pauvres.
La communauté connaît un maximum de 141 personnes en 1882 (15 % de la population totale). Elle a, d’ordinaire, un représentant au conseil municipal, ce qui participe de l’équilibre confessionnel observé dans la plupart des communes alsaciennes.
La création du cimetière
On peut imaginer que les défunts sont enterrés à Trimbach, village relevant des Fleckenstein, mais cette localité se trouve à 55 km de Weiterswiller, ce qui représente un déplacement fort long à cette époque. Les enterrements ont sans doute également lieu dans la nécropole d’Ettendorf, plus proche. Mais en 1824, la communauté établit un cimetière au lieu-dit Orthal, en direction de Weinbourg. Il doit servir aux communautés de Weiterswiller et de Weinbourg.
Un bain rituel et une synagogue
En 1833, la famille Haehnel accorde le droit d’installer un bain rituel, un « mikve » dans la cave de sa maison, à côté de l’ancienne école protestante. Ce sombre « Badbrunnen » comprend le puits et une baignoire, reliée au puits par un caniveau. Il existe également un endroit appelé « Judenbrunnen » qui sert aux femmes israélites durant tout le XIXe siècle.
La construction d’une synagogue au bord de la rue principale, en lieu et place d’une ancienne devenue trop exiguë, est entreprise en 1868 par l’architecte savernois Louis Furst. Il s’agit d’un bâtiment rectangulaire dont les murs-pignons sont à plans coupés. L’édifice est déserté bien qu’un dernier mariage y soit célébré en 1936. Il est vendu par le consistoire israélite en 1950. Le mobilier est dispersé dans la région, notamment le chandelier rituel qui orne encore la synagogue d’Ingwiller. Original par sa conception octogonale, le bâtiment est devenu, il y a peu, un centre d’expositions et de culture ainsi qu’un lieu de concerts à l’acoustique remarquable.
Le déclin de la communauté
Vers la fin du XIXe siècle, l’émigration rurale juive vers les villes se généralise en Alsace. Elle touche également Weiterswiller En 1919, il ne reste plus que sept familles, contre 30 en 1885 ; en 1930, elles ne sont plus que deux (Meyer et Haehnel). À partir de 1945, seule subsiste la famille Haehnel. Si quelques-unes se sont établies à Phalsbourg ou à Nancy, la plupart sont restées en Alsace, surtout à Ingwiller proche, mais aussi à Haguenau, à Strasbourg ou à Saverne. Le souvenir des morts en déportation est rappelé près de l’entrée du cimetière.
Début 1992, Jacques Haehnel décède ; sa veuve s’installe à Strasbourg. Depuis, il n’y a plus aucune famille juive à Weiterswiller.
En savoir plus : Wollbrett (A.), « La communauté israélite », Bulletin trimestriel de la Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs, n° 47-48, 1964, p. 26-27.
Par Daniel Peter