Emmanuel Pierrat part sur les traces d’Émile Zola et de l’affaire Dreyfus. L’avocat publie « Les dessous de l’affaire ‘J’accuse' ».
Pourquoi cette passion pour cette affaire ?
D’abord parce qu’elle résonne encore aujourd’hui dans l’actualité. C’est la première grande affaire où l’antisémitisme montre son vrai visage. Il couvait dans la société française et c’est à cette époque qu’il a éclaté, bien avant les années 1930. Le musée du Barreau de Paris dont je suis le conservateur, détient des objets anti-dreyfusards des plus détestables. C’est aussi une affaire qui va couper la France en deux. La procédure, qui a duré 16 ans, a démarré lentement parce qu’il s’agissait d’une procédure militaire, ce qui impliquait le huis clos. La presse et le public en étaient tenus écartés. C’est l’intervention de Zola qui l’a mise en pleine lumière.
Quand Zola se lance, il n’a que des intuitions, aucune certitude sur l’innocence de Dreyfus. Avec « J’accuse », il sait qu’il va être attaqué en diffamation. À l’époque, ce n’est pas rien, c’est un crime jugé aux Assises, et c’est son procès justement qui va donner sa dimension à l’affaire. En 1898, Zola est au faîte de sa gloire d’écrivain. Il a tout à perdre en allant ainsi au-devant des poursuites. C’est un héros et un lanceur d’alerte. Un peu comme Rosa Parks, il décide de provoquer la société pour la faire évoluer. D’autres intellectuels vont lui emboîter le pas, – le mot apparaît d’ailleurs à cette occasion. En un an, plus de 13 000 tribunes d’intellectuels vont fleurir dans la presse.
Reste-t-il des documents à découvrir ?
L’Affaire Dreyfus, qui a eu également un fort retentissement à l’international, est désormais très documentée. À partir des années 20, on a surtout découvert les dessous de l’affaire. On ne compte pas moins de 4 000 livres sur le sujet. Les archives ont été très longtemps confidentielles car la procédure militaire était couverte par le secret-défense. Au musée du Barreau, on a un fonds extraordinaire. Entre autres, les archives de Maître Labori, avocat d’abord de Zola puis de Dreyfus. Des correspondances, des faux reconstitués… On achète souvent de nouvelles pièces. Mais il y a encore des tas de lettres de particuliers à trouver, des éléments qui éclairent l’impact qu’a eu l’affaire sur la société.
Pourquoi cette affaire a-t-elle eu cet impact ?
On découvrait d’abord que la justice pouvait se tromper. Car on parle quand même de l’une des plus grandes erreurs judiciaires de tous les temps. Dreyfus a subi un destin violent, ce n’était pas rien une déportation à l’île du Diable en 1900 ! Et puis, ça a ébranlé les certitudes sur l’armée, car Dreyfus était un militaire exemplaire. Cela permet de mieux comprendre les réticences de certains comme Jaurès, à entrer en guerre en 1914. Enfin, c’est un de ces rares moments historiques où tout le monde en France se sentait concerné. Les gens se tapaient dessus. L’affaire Dreyfus touillait des tensions mal digérées, la Commune, la perte de l’Alsace Lorraine. La République se cherchait. C’est tout un pays qui s’est fourvoyé. Cette affaire montre à la fois le pire et le meilleur de la France.