Des élèves strasbourgeois ont tenu des propos racistes, sexistes et négationnistes lors d’un tournoi sportif opposant les Instituts d’Études Politiques (IEP) français.
« Et 1, et 2, et IIIe Reich ! Et 4, et 5 et 6 millions ! Et 7 et 8 et prouvez-le ! » Le week-end du 30 mars, lors d’un tournoi sportif, des élèves de Sciences Po Strasbourg ont proféré des chants négationnistes, mais aussi sexistes ou racistes. La page Facebook « Paye ton IEP » a d’abord dénoncé ces propos. Puis le directeur de l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) strasbourgeois en a été « officiellement » averti. Gabriel Eckert a envoyé une lettre à ses étudiants dans la soirée du 11 avril, dans laquelle il condamne des « comportements (…) profondément inadmissibles » tenus lors du Critérium inter-IEP ou « Crit », et s’engage à identifier et à punir les responsables « par la saisine du Conseil de discipline de l’Université, voire des juridictions pénales compétente
« Folklore » et « microcosme »
Maxime (le prénom a été modifié) a participé à ce tournoi annuel opposant les différents IEP de France. Le sportif condamne ces chants tout en dénonçant une réaction « excessive » du côté de l’administration. Pour cet étudiant en première année, il est important de situer ces propos dans leur contexte : « Comme l’IEP de Strasbourg est associé à l’Allemagne, il y a une espèce de tradition. Ce genre de chants je ne les ai pas entendus ailleurs. Moi non plus je vois pas trop à quoi ça sert. C’est compliqué à expliquer, comme toute forme de folklore. Il y a un peu cette idée de “Vous pensez qu’on est allemand, ben on s’en fout ça nous fait même rire.” Et puis il y a un effet de groupe. Le Crit c’est quelque chose de festif, tout ce qui se passe au Crit, c’est un espèce de microcosme. »
« Un problème à Sciences Po »
« La honte ». Voilà ce que Maureen Morlet a ressenti en entendant une trentaine de ses camarades chanter dans la matinée du dimanche 31 mars. Seule face à un groupe principalement masculin, la présidente du collectif féministe Copines n’a pas osé exprimer sa désapprobation. Au cours du même week-end, elle est aussi témoin de chants sexistes (« Et les poms poms c’est des salopes ! ») ou racistes : (« Moi j’aime le Rwanda car il y a des enfants soldats et que les enfants soldats c’est bon surtout quand c’est les Noirs qui le font ! ») Pour l’étudiante, la direction a réagi trop tard : « Ici, certains étudiants pensent qu’ils ont le droit de tout dire parce qu’on est à Sciences Po. Ça touche toutes les discriminations. Ils ne comprennent pas que les blagues racistes et sexistes peuvent blesser. Ce n’est pas seulement le problème du Crit. C’est un problème qu’on veut régler à Sciences Po. »
Des propos sexistes…. et banals
Plusieurs sources évoquent un conflit permanent entre le collectif Copines et des étudiants dénonçant une « censure permanente ». Un élève strasbourgeois prend pour exemple un autre chant controversé : la danse du Limousin. Pendant des soirées étudiantes, un groupe pousse une chansonnette incitant une personne à se déshabiller. Si elle ne va pas jusqu’au bout, les étudiants entonnent : « Cet homme est une femme, il n’a pas d’organe. » Il y a celles et ceux qui y voient des propos sexistes, à bannir et ceux qui n’y voient une tradition festive, innocente.
Cette tension existe depuis plusieurs années au sein de l’IEP de Strasbourg. Perrine peut en témoigner. L’étudiante a organisé le tournoi inter-IEP à Strasbourg l’année dernière. Elle raconte les craintes liées à un événement souvent émaillé de dérives : « On savait qu’il y aurait des dérapages. On a essayé de les prévenir au mieux. Le brief qu’on a fait à la sécurité, je m’en rappelle, on leur a dit : “Vous allez croiser des gens, non seulement ce sont des gens de Sciences Po, ils vont péter plus haut que leur cul, non seulement ils seront alcoolisés mais en plus dans chaque IEP, il y a quelques élèves qui chantent des trucs racistes ou nazis. Donc ne surréagissez pas.” C’est triste mais la sécu devait être consciente de ces dérives. »
Les « ultras » : une minorité
L’étudiante en master reste optimiste. En cinq années d’études à Strasbourg, elle a vu la position des associations évoluer au sujet des propos discriminatoires : « Au début, les associations comme celle du Bureau de Sport disait au collectif Copines “Arrêtez, ça a toujours été comme ça.” Maintenant, le collectif Copines fait partie intégrante du paysage associatif et travaille avec les autres associations, qui veulent être irréprochables. Je pense qu’il y aura toujours des gens pour dire “ça fait chier”, notamment les plus ultras des hooligans de l’IEP mais c’est une minorité. »
Pour mettre fin à ces comportements excluants, la direction de l’IEP a pris des mesures au cours des dernières années. L’établissement a mis en place une charte anti-discrimination, rédigée en écriture inclusive. Depuis 2017, une déléguée à la lutte contre les discriminations est disponible pour les étudiants. Elle peut mener des enquêtes approfondies et demander des comptes à la direction. Des mesures insuffisantes selon le collectif Copines. Ses membres ont ainsi coorganisé une zone d’écoute et de calme pour les victimes d’agression en marge du Crit à Strasbourg, l’année dernière.
Une circulaire contre les chants discriminatoires
Contactés, les organisateurs du tournoi rappellent leur engagement contre les propos haineux et affichent leur fermeté : « Les responsables (…) seront exclus à vie de notre événement. Le travail engagé depuis plusieurs années par la Fédécrit a permis une véritable évolution des comportements. Cette année nous avions par exemple mis en place une circulaire spécifique contre les chants discriminatoires. (…) Le comportement d’un petit nombre d’individus vient ternir l’image de notre événement auquel 2500 étudiants ont pris part. Nous le regrettons profondément. »