La Chambre a adopté – par 103 voix pour, 0 contre et 32 abstentions – le texte d’une résolution relative à la « réalisation d’une enquête sur le rôle joué par la SNCB dans les convois ferroviaires et la déportation de juifs durant la Seconde Guerre mondiale ».
L’élément est un peu passé inaperçu dans la flopée de votes effectués par la Chambre en plénière la nuit dernière, mais les députés ont bel et bien adopté – par 103 voix pour, 0 contre et 32 abstentions – le texte d’une résolution (signée à la base par les députés Sp.a David Geerts et Karin Temmerman) relative à la « réalisation d’une enquête sur le rôle joué par la SNCB dans les convois ferroviaires et la déportation de juifs durant la Seconde Guerre mondiale ». Une enquête qui pourrait être confiée, comme d’autres par le passé, au CEGES/CEGESOMA, Centre d’Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines.
Les convois de la mort vers Auschwitz
Au cours de la Seconde guerre mondiale, entre le 4 août 1942 et la fin de l’occupation allemande, quelque 28 « convois » ont été organisés depuis Malines à destination d’Auschwitz, le dernier étant parti le 31 juillet 1944. Des trains qui auraient transporté au total 25.257 Juifs et 351 Tziganes vers les camps d’extermination. Seuls 5% des personnes ayant fait partie d’un convoi belge ayant survécu à l’horreur.
Et force est de constater que sous l’occupation, vu l’imbrication totale entre la SNCB et la Wehrmachtverkerhrsdirektion allemande, les chemins de fer belges ont apporté leur entière collaboration au trafic ferroviaire allemand et militaire. Et donc collaboré à la déportation des Juifs de Belgique. D’où l’intérêt capital d’examiner de plus près le rôle joué à l’époque par le rail belge…
On sait déjà que, dès le début de l’occupation, dès juin-juillet 1940, la SNCB a repris ses activités sous contrôle allemand, les dirigeants optant ici comme dans d’autres secteurs d’activités économiques pour une politique dite du « moindre mal ». Une attitude générale du côté des autorités belges mise en avant en 2007 dans le rapport précédent du CEGES sur « la responsabilité des autorités belges dans la spoliation et la déportation des Juifs de Belgique, la Belgique docile », publié alors à la demande du Sénat.
Pour Nico Wouters, directeur du CEGES, l’Histoire de la SNCB pendant la Guerre ne peut pas être détaché de ce contexte pressant de l’époque. « La SNCB n’était pas autonome et devait oeuvrer dans un contexte politique plutôt complexe, de coopération et de collaboration avec l’occupant, une politique stratégique aussi pour bien défendre les intérêts économiques du pays et de la société. Et dans ce cadre-là, on sait effectivement déjà depuis longtemps que la SNCB a aidé à déporter des Juifs, ça c’est clair. Mais ensuite sur le comment, sur l’organisation des trains à destination de l’Est, sur les processus de décisions, le statut juridique de la société sous domination allemande, les pressions utilisées par les Allemands, les négociations, c’est beaucoup plus complexe à déterminer, à étudier et là on peut encore ajouter beaucoup d’informations à notre connaissance actuelle du dossier ».
De nombreuses questions encore en suspens
Reste en effet de nombreuses interrogations sur le « concret » de cette collaboration manifeste. Quels objectifs ont ainsi été transmis par le collège des secrétaires généraux (qui remplaçaient alors le gouvernement belge en exil à Londres) au ministère des Transports et des Communications ? Quelle fut l’attitude de la direction de la SNCB et de son directeur général de l’époque, Narcisse Rulot, antisémite et pro-nazi notoire. Des machinistes et du matériel belge ont-ils été utilisés dans le cadre de ces transports ? Pire, la SNCB a-t-elle reçu de l’argent pour ceux-ci ? Plus positif, y-a-t-il eu des actes de résistance de la direction ou d’employés du rail pour entraver l’occupation et les déportations ? Autant de questions à creuser. A condition d’en avoir les moyens et… les archives donc.
La question des responsabilités
En 2012, l’administrateur-délégué de la SNCB Holding, Jannie Haek, avait reconnu, lors d’une cérémonie à Malines à la Kazerne Dossin, devenue depuis Mémorial, Musée et Centre de documentation sur l’Holocauste et les Droits de l’Homme, le rôle joué par les Chemins de fer belges dans la déportation comme « une page noire de l’histoire de la société« . Dans son discours, le même avait rappelé la « position ambiguë des chemins de fer », tout en soulignant dans le même temps « le courage déployé par les cheminots résistants ».
Plusieurs pays voisins, la France, les Pays-Bas, ont récemment rouvert le débat sur le rôle de leur compagnie de chemins de fer et surtout sur la question de savoir s’il convenait d’indemniser ou non les proches des victimes de ces déportations. La SNCF a promis de dédommager des Juifs américains. La compagnie hollandaise réfléchit aussi. Une enquête historique chez nous pourrait aider à pointer des responsabilités éventuelles et ouvrir la voie aux mêmes demandes d’indemnisations. Fin de l’année dernière, trois composantes représentatives de la communauté juive (le Consistoire central de Belgique, Forum der Joodse Organisaties et le Comité de coordination des organisations juives de Belgique) avaient plaidé pour un tel travail d’historiens.
Le CEGES prêt si le gouvernement le lui demande
Ce travail d’historiens, c’est l’objectif des auteurs de la proposition de résolution adoptée dans la nuit de jeudi à vendredi à la Chambre. Qui demandent donc au gouvernement fédéral – le prochain sans doute ! – d’inviter la SNCB à charger une équipe de chercheurs indépendants à enquêter sur le rôle joué dans les 28 convois de déportation; de faire réaliser une enquête sur l’attitude de la direction de l’époque; de charger le SPF Mobilité et Transports et la SNCB à ouvrir leurs archives – en débat, le ministre MR François Bellot a confirmé que la SNCB était prête -; enfin, les auteurs, rejoints par une majorité de députés lors du vote, demandent donc au gouvernement fédéral d’élaborer après réception de l’étude une proposition de reconnaissance et de dédommagement éventuel des proches des victimes de ces convois.
La difficulté principale : les sources pour Nico Wouters, directeur du CEGES. « Quelles archives va-t-on encore trouver ? Et où? A l’époque de la recherche sur ‘la Belgique docile’ on a déjà essayé de trouver des archives à la SNCB, et on n’a pas dégagé grand chose. Depuis il y a eu quelques changements légaux et des fonds nouvellement transférés aux Archives générales du Royaume et également dans les provinces. Et pourquoi pas là des archives non encore utilisées jusqu’à aujourd’hui, je l’espère ».
Mais le CEGES reconnaît une certaine expérience pour ce type de recherches et la thématique, la Seconde guerre mondiale, et se dit prêt, sur le principe, à mener cette enquête, « c’est une résolution importante, et une question sociétale et historique majeures », mais précise tout de même Nico Wouters, « il faut à présent attendre au-delà de l’expression parlementaire – le vote de cette résolution par la Chambre – que le pouvoir exécutif, le prochain gouvernement donc, prenne la décision sur les modalités concrètes pour mener cette recherche… ».
A noter, ultime précision, concernant le vote survenu à la Chambre, les 32 abstentions qui se sont manifestées face à la résolution provenaient des députés N-VA; en commission, les nationalistes avaient dit soutenir la démarche d’une enquête historique, mais le gouvernement fédéral étant en affaires courantes, ils estiment que voter une résolution demandant au gouvernement d’agir n’a pas de sens… Une attitude qui vaut pour tous les projets de résolution soumis aux députés ces derniers mois.