« C’est terrible de se dire qu’il faut rappeler l’importance de la fermeté », regrette le grand rabbin, commentant le message de fermeté adressé par la ministre de la Justice aux procureurs.
Dans ce texte qu’elle signe aujourd’hui, la ministre de la Justice demande aux procureurs « de mettre en place dans chaque parquet des dispositifs pour mieux saisir les plaintes, d’avoir une attitude spécifique face à la force probante d’un certain nombre de faits, parce qu’on ne traite pas les plaintes antisémites de la même manière qu’une autre plainte ». La lutte contre le racisme et l’antisémitisme est une priorité gouvernementale », a poursuivi la ministre, précisant qu’il y aura aussi « un référent » sur ces sujets dans chaque parquet.
Alors que la ministre de la Justice Nicole Belloubet va envoyer une circulaire à tous les procureurs pour les appeler à la fermeté dans les dossiers qui concernent le racisme et l’antisémitisme, le grand rabbin de France estime que « si on doit rappeler régulièrement la fermeté, c’est que l’on n’est pas convaincu de la chose ». Haïm Korsia a jugé sur franceinfo mardi 2 avril que « c’est terrible de se dire qu’il faut rappeler l’importance de la fermeté ».
franceinfo : Des croix gammées ont été retrouvées lundi 1er avril dans un cimetière du Morbihan. Quasiment pas une semaine ne passe sans un acte de ce genre : l’antisémitisme est-il aujourd’hui enraciné en France ?
Haïm Korsia : Il est l’expression d’une haine profonde. Un homme de 63 ans a été arrêté récemment en flagrant délit, après avoir fait des tags antisémites et des croix gammées. On lui demande pourquoi. Il répond qu’il avait envie d’écrire « Macron démission » mais qu’il n’avait pas le temps, donc il a fait une croix gammée. Comme si la haine des juifs symbolisait la haine de toute la société, la haine de l’autre. Le drame est que cette personne n’a été condamnée qu’à six mois de prison avec sursis, c’est-à-dire rien. C’est terrible de se dire qu’on lance un combat contre une haine profonde, pour la déraciner, avec la réalité de sanctions très faibles. C’est un signal indirect qui veut dire que ce n’est pas si grave que ça. Je compare la haine antisémite et le racisme en général à une forme de terrorisme : celui qui met une croix gammée, c’est une façon de vouloir nous faire peur, donc c’est du terrorisme. Le racisme et l’antisémitisme, c’est du terrorisme.
Nicole Belloubet va donc envoyer une circulaire à tous les procureurs pour les appeler à la fermeté dans ce type de dossier. Ça peut changer les choses pour vous ?
Ça devrait changer les choses, mais c’est terrible de se dire qu’il faille rappeler l’importance de la fermeté. A un moment, quand on décide de faire une action commune pour éradiquer un mal de l’ensemble de la société, si on doit rappeler régulièrement la fermeté c’est que l’on n’est pas convaincu de la chose. Il y a une sorte d’habitude et c’est ça qui est terrifiant. Il faut que la mobilisation de l’ensemble des services de l’Etat soit sans faille.
La question ne se pose-t-elle pas avec encore plus de vigueur sur les réseaux sociaux ?
Cette haine permanente qui est encouragée par l’anonymat d’internet fait qu’on se retrouve à être haineux sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire dans un monde virtuel. Et quand on revient dans le monde normal, cette haine, on n’arrive plus à l’éradiquer. Il faut pouvoir sanctionner les hébergeurs : je n’arrive pas à croire que des réseaux sociaux comme Facebook soient capables d’enlever La Liberté guidant le peuple, le tableau d’Eugène Delacroix, parce qu’on voit un petit bout de sein, alors qu’ils ne peuvent pas enlever des messages de haine violente, avec une haine insultante pour les valeurs que nous portons dans la République.