C’est une petite musique qui revient régulièrement à nos oreilles. Les enfants juifs quitteraient l’école publique pour le privé. Le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, lui-même, parle d’un phénomène qui « existe bel et bien, et pas depuis hier matin ». Est-ce une réalité et comment l’expliquer ?
C’est une école qui ressemble à beaucoup d’autres : une cour de récréation, un ballon de foot, des cris d’enfants. Mais ici, les garçons portent une kippa et les jeunes filles un chemisier et une jupe longue. L’école juive Chné-Or, à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, accueille près de 700 élèves de la maternelle au bac. Ces dernières années, près de 500 enfants sont arrivés du public pour des raisons très diverses.
Yohan, 11 ans, est nouveau ici. « J’ai passé 6 ans dans une école publique », dit-il, « mais ma mère voulait que je change pour apprendre la Torah et pour que je mange casher ». La transmission d’une culture, de valeurs, d’une religion, sont souvent évoqués par les familles qui décident d’envoyer leurs enfants dans le privé.
La crainte des menaces antisémites
Mais l’antisémitisme ou la crainte d’être visés apparaît rapidement aussi. Pamela Benchetrit a inscrit ses trois enfants à Chné-Or en septembre dernier : « quand j’ai déménagé à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, j’ai préféré les mettre dans une école juive plutôt que dans le public. Mes enfants n’ont jamais eu de réflexions ni rien mais j’ai eu peur qu’ils soient embêtés en grandissant et en avançant dans la religion. Ici, je sais qu’ils sont en sécurité ».
Ilana, 15 ans, a, elle, reçu des menaces quand elle était scolarisée dans un collège du 19ème arrondissement de Paris: « Ma mère vit dans une cité depuis trente ans. On vit mélangés depuis toujours, avec toutes les religions alors je ne pensais pas que j’allais avoir des problèmes. Et puis quand je suis arrivée au collège, mes anciennes amies ont raconté aux garçons que j’étais juive. J’avais peur d’eux. On m’a traitée de sale juive. On m’a frappée. J’ai dit « maman s’il te plait, change moi d’école je ne me sens pas bien. Ma mère me voyait pleurer tous les soirs, alors on m’a proposé l’école Chné-Or. »
« Ecole juive pour tous »
Mais comment obtenir des chiffres à l’échelle nationale puisque les statistiques ethniques ou religieuses sont interdites en France ? Ariel Goldmann, du Fond social juif unifié qui regroupe les écoles juives de France s’appuie sur une étude, vieille de dix ans, qui estimait alors que 100 000 juifs étaient scolarisés en France, un tiers dans les écoles juives, un tiers dans les autres écoles privées et un tiers dans le public. « Il y a eu notamment entre 2016 et 2017, 1000 enfants inscrits en plus par rapport aux années précédentes et je pense qu’on peut y voir très clairement un contrecoup de l’Hyper Cacher. Pour la rentrée dernière, je n’ai pas encore toutes les statistiques mais les effectifs sont en augmentation. Il y a plus de listes d’attente dans certaines écoles notamment dans l’Ouest parisien et il y a un regain d’attractivité pour les écoles juives confessionnelles en France, c’est clair » souligne-t-il.
Le mouvement vers le privé ne concerne en fait pas seulement la communauté juive. Le privé progresse et accueille aujourd’hui plus de 2 millions 200 000 élèves. « On constate depuis plusieurs années une fuite vers le privé, détaille Rodrigo Arenas, coprésident de la FCPE, fédération de parents d’élèves, le fait que le public soit vécu comme un lieu d’insécurité, qu’on soit juif ou pas d’ailleurs, c’est insupportable parce que c’est un échec de notre système scolaire ».