Le procès en appel du « tueur au scooter » impose aux familles, avocats et accusés un nouveau face-à-face de quatre semaines. Aux parties civiles épuisées comme à la défense résignée, la justice doit garantir un procès équitable.
Les regards sont lourds et les mines déjà fatiguées. Le procès en appel d’Abdelkader Merah et de Fettah Malki a la particularité de rassembler des protagonistes qui, par la force des choses, se connaissaient déjà tous. Unis par le pénible souvenir du premier procès, voilà donc 226 parties civiles, 23 avocats, 7 magistrats de la cour d’assises spéciale, 2 avocats généraux, 74 journalistes accrédités, 117 tomes de procédures et 2 accusés à nouveau embarqués pour vingt jours d’audience.
Entre les différents bancs de la grande cour d’assises de Paris, tous s’observent dans une familiarité qu’ils n’auraient jamais souhaité éprouver. Entre avocats, on se toise, et en toute connaissance de cause. Entre familles, on s’échange mille petites attentions imperceptibles. Et même depuis le box, on scrute l’assemblée.
Le principal accusé est à la recherche d’on ne sait quelle nouveauté. Il regarde un peu partout dans la grande salle de la cour d’assises, en évitant, cela dit, le regard de la femme installée au premier rang des bancs du public. Immobile, Latifa Ibn Ziaten, foulard sur la tête, mine impassible, a depuis le matin les yeux braqués sur le frère de l’assassin de son fils.
Abdelkader Merah, barbe fournie, cheveux en catogan, lunettes à montures noires, sera bientôt avachi, bras ballants sur le montant du box des accusés. Exactement dans la position caractéristique qu’ont saisie les croquis d’audiences publiés dans les deux livres illustrés qui sortent ce mois-ci sur le premier procès (« C’est quoi un terroriste », de Doan Bui et Leslie Plée et « Chronique du terrorisme », de Charlotte Piret, Florence Sturm, Antoine Mégie et Benoît Peyrucq). Une sorte d’ennui s’abat sur le si attendu rassemblement judiciaire.
Moins de spectacle
Le véritable piège de ce second procès Merah, et peut-être même plus généralement de toute la justice face au terrorisme, serait justement de sombrer dans une impression de banalité, de routine, voire de lassitude. Alors qu’en ce lundi matin, premier jour de l’audience en appel, la salle est engourdie par l’interminable lecture du rapport de l’affaire puis de la fiche de motivation du premier procès, deux voix, déjà, doivent rappeler l’importance de l’exercice judiciaire.
Sept ans après les tueries de Montauban et de Toulouse, même si les événements paraissent soudain bien loin au vu de ce que le terrorisme a produit depuis, même si le djihadisme est mieux connu qu’à l’époque des faits, tout reste à faire. Avant de fixer son regard impassible sur le box, Latifa Ben Ziaten, en entrant lundi matin au Palais de Justice de Paris aux côtés de Me Francis Szpiner, n’a qu’une formule aux lèvres : elle veut « un procès digne et loyal », une audience qui fasse « la lumière », avec « moins de spectacle ».
Un peu plus tard, alors que la journée s’est avancée vers l’examen de la personnalité de Fettah Malki, dont on saura tout – de sa carrière de pizzaïolo à son chemin dans la délinquance puis la radicalité – un sourd murmure parcourt les bancs des parties civiles venues ici porter la voix des vies brisées d’Imad Ibn Ziaten, d’Abel Chennouf, de Mohamed Legouad, de Gabriel Sandler, d’Aryeh Sandler, de Myriam Monsonégo et de Jonathan Sandler. Cette fois, c’est la présidente de la cour d’assises spéciale qui pose les exigences du procès.
Xavière Siméoni, célèbre pour avoir alors qu’elle était juge d’instruction au pôle financier mis en examen et renvoyé Jacques Chirac devant le tribunal correctionnel en 2009, est aux commandes de cette audience. Le matin même, elle décrit les crimes froids du djihadiste mort les armes à la main face au Raid au terme d’un assaut qui a tenu la France en haleine. Mohammed Merah mort, elle a la tâche, pour juger son frère Abelkader et Fettah Malki, de connaître leurs parcours. Alors, elle explique sa démarche de juge : Je sais que les parties civiles peuvent trouver que nous consacrons beaucoup de temps à l’examen de personnalité des accusés, mais je tiens à préciser que cet exercice est tout à fait indispensable, car il est nécessaire de mieux connaître les personnalités que nous avons à juger. […] Je souhaite, le moment venu, que nous consacrions autant de temps aux personnalités des victimes qui ont perdu la vie.
Inspirateur lointain ou tueur par procuration ?
« C’est la garantie d’un procès équitable », insiste la présidente Siméoni. Dans une routine que connaissent toutes les cours d’assises de France, et avant le passage de témoins clés comme la mère des frères Merah, les proches éprouvés écoutent donc les examens de personnalité. Fettah Malki, ce lundi. Abdelkader, ce mardi.
De l’avis général, l’ambiance est apaisée en comparaison au premier procès. L’atmosphère s’est lissée. Mais ce n’est peut-être qu’une illusion. « Nous voulons la justice. Et la vérité de la complicité », souffle dans les couloirs Latifa Ben Ziaten, figure emblématique des parties civiles qui, même épuisées, seront là jusqu’au bout. Dans le même couloir, à quelques minutes d’intervalles, comme résigné, Me Eric Dupond-Moretti, principal avocat d’Abdelkader Merah, fronce le sourcil : « Le dossier n’a pas changé c’est toujours le même… notamment concernant la complicité d’assassinat… Il est toujours aussi vide ».
Depuis le premier procès et la condamnation d’Abdelkader Merah pour association de malfaiteur terroriste et son acquittement pour la complicité des crimes de son frère, tous les acteurs du procès savent bien que le point critique sera là. Complicité ou pas ? Inspirateur lointain ou tueur par procuration ? Infusion d’une théorie radicale en famille ou itinéraires parallèles ? Dans l’exploration de ce qui fut le premier acte de la vague d’attentats djihadistes des années 2000, le défi pour la cour d’assises spéciale est tel qu’à compter de maintenant jusqu’au verdict, chaque mot comptera.
Mathieu Delahousse